Parution : imagine… 61, Sainte-Foy, 1992, p. 11-57.
La pensée politique peut s’exprimer aussi bien sur le mode théorique que dans le cadre d’une fiction. D’un point de vue féministe, les utopies masculines ont cependant aussi mauvaise réputation que la théorie politique traditionnelle : on les accuse de ne pas tenir compte des femmes, ou de les river à leurs rôles traditionnels. L’auteur prétend que cette condamnation, nécessaire lorsqu’il s’agissait de mettre en veilleuse la production utopique masculine afin de mettre en évidence la tradition féminine occultée, mérite aujourd’hui d’être nuancée ; son hypothèse est que « le passage d’une approche quantitative à une perspective qualitative révélerait que parmi les textes les plus connus à leur époque et pour la plupart encore aujourd’hui, plusieurs se sont préoccupés sérieusement d’améliorer le sort des femmes » (p. 13). Les auteurs pris à témoin sont Thomas More (L’Utopie, 1516), Thomaso Campanella (La Cité du soleil, 1623), Étienne Cabet (Le Voyage en Icarie, 1839), Edward Bulwer Lytton (La Race à venir, 1871), Edward Bellamy (Looking Backword : 2000-1887, 1888), William Morris (News from Nowhere, 1890), H.G. Wells (A Modern Utopia, 1905) et Ernest Callenbach (Écotopie, 1975, et Ecotopia Emerging, 1981).
La critique féministe de ces textes est très majoritairement négative. Mais, soutient l’auteur, c’est parce qu’elle est anachronique dans la mesure où elle ne tient pas compte du contexte historique dans lequel ces romans furent écrits, ou parce qu’elle met l’accent sur des éléments secondaires au détriment des principes fondamentaux et des percées progressistes plus importantes. Même si ces utopistes n’ont pas pu prévoir tous les problèmes actuels, il serait plus utile de se demander si leurs principes favorables à l’amélioration du sort des femmes dans la société peuvent être pertinents à la solution de ces problèmes, que de les rejeter dans le magma indifférencié de « l’utopie masculine sexiste ».
Source : Bouchard, Guy, L'ASFFQ 1992, Alire, p. 220.