Parution : Voix et Images, vol. 2, n˚ 1, Montréal, 1976, p. 99-109.
Ce qui intéresse Bernard Andrès dans Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel, roman à thèse « qui pousse jusqu’à l’excès les théories intégristes et l’appel à une théocratie nationaliste », c’est l’écart que le roman accuse au niveau des structures romanesques de l’époque et au niveau d’une outrance idéologique ultramontaine voisine de l’écriture pamphlétaire. En inventant le « roman chrétien de combat », Tardivel doit assumer une contradiction fondamentalement idéologique : tout en rejetant le roman comme « arme forgée par Satan lui-même », il reconnaît en écrire un !
Pour Andrès, cette contradiction se traduit dans l’ensemble du roman par une série d’oppositions. Opposition d’abord entre la simplicité annoncée des structures narratives et l’ornementation recherchée des tournures stylistiques du texte. Opposition dichotomique entre le Bien et le Mal qui reflète celle du fond et de la forme. « Les fins du roman “infâme” sont rejetées mais ses moyens – structures formelles – se trouvent intégrés dans un nouveau système narratif : le roman chrétien de combat. » Andrès fait valoir que ce principe de permutation qui amène Tardivel à substituer des valeurs plus personnelles à des valeurs étrangères est encodé dès l’Avant-propos de l’auteur. C’est donc en se reportant continuellement à cet Avant-propos qu’il compare le fonctionnement du discours romanesque à cet encodage.
La deuxième partie de l’exposé d’Andrès est consacrée à l’illustration du principe PERMUTATION-INTÉGRATION au regard de la typologie romanesque et des personnages. Pour la patrie s’alimente à plusieurs genres : le roman d’intrigue et le roman historique, qui s’escamotent tour à tour suivant le principe de permutation, mais aussi le roman sentimental et le roman merveilleux instrumental (éléments surnaturels et d’anticipation technologique). Quant à la distribution des personnages, elle obéit à une vision manichéenne et reproduit, de ce fait, une structure actantielle résolument binaire.
Andrès se penche particulièrement sur le cas des personnages-transfuges (ceux qui changent de camp) qui incarnent de façon exemplaire le principe d’intégration-permutation. Il montre que les deux composantes des couples Bien-Mal se neutralisent les unes après les autres si bien qu’il ne reste plus à la fin que Leverdier et Vaughan. Ce dernier, en se convertissant, assure la victoire des séparatistes.
En somme, le but de l’essayiste était d’établir un parallèle entre l’idéologie intégriste de Tardivel et le principe intégrateur du « roman chrétien de combat » et de démontrer que cette dynamique détermine le fonctionnement textuel et ce, jusque dans l’Épilogue.
Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 211-212.