Parution : Moebius 33, Montréal, 1987, p. 65-69.
Pierre Bertrand rejette carrément le concept de l’utopie parce qu’il estime qu’il repose sur deux méprises fondamentales. Premièrement, la pensée utopique se représente la nature comme ordonnée et harmonieuse. Cette vision, répandue par la science classique, se fonde sur la connaissance des lois (immuables) de la physique qui régissent le monde, telle la loi de la gravitation de Newton. Or, la science contemporaine a révélé le chaos, le désordre et l’irrégularité qui règnent derrière cet ordre apparent.
Deuxièmement, l’utopie sépare l’homme de la nature et propose à l’homme un modèle de bonheur qui « ne peut qu’exister que comme quelque chose de stable, fixe, permanent », s’opposant ainsi à l’évolution qui est l’essence même du monde. Or, l’homme faisant partie de la nature et celle-ci étant caractérisée par l’imprévisible, le changement et la variation, l’utopie ne peut être que refus du réel, du cosmos et de l’homme lui-même. Cela explique, conclut Bertrand, que l’utopie débouche toujours sur la violence, sur la terreur, sur le Goulag et réalise le contraire de ce qu’elle veut instaurer.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 201.