Parution : Revue francophone de Louisiane, vol. VI, n˚ 1, Lafayette (Louisiane), 1991, p. 39-62.
Guy Bouchard se propose dans cette étude de vérifier si les principales caractéristiques des utopies féministes anglophones, dont la particularité la plus remarquable est de renouer avec la tradition optimiste de ce genre littéraire, se retrouvent dans la production francophone homologue. Pour ce faire, il procède à une analyse comparative de huit œuvres : L’Euguélionne de Louky Bersianik, Le Satellite de l’Amande et Les Bergères de l’Apocalypse de Françoise d’Eaubonne, « Au creux des Arches » et La Planète des poupées de Christine Renard, Archaos ou le jardin étincelant de Christiane Rochefort, Le Silence de la cité d’Élisabeth Vonarburg et Les Guérillères de Monique Wittig.
Ce corpus se partage de prime abord en deux groupes : les dystopies, qui décrivent l’oppression des femmes, et les eutopies, qui mettent en scène leur libération. Le premier groupe d’œuvres, note Bouchard, se caractérise par une prise de conscience de l’oppression, condition essentielle à une seconde étape possible qui débouche sur un conflit entre hommes et femmes. Le roman de Louky Bersianik thématise cette prise de conscience tout comme La Planète des poupées qui utilise cependant un procédé inversé. Le roman d’Élisabeth Vonarburg et Les Bergères de l’Apocalypse prennent en quelque sorte le relais de ces deux œuvres en abordant la guerre des sexes. Mais ces quatre dystopies féminines, contrairement aux grandes dystopies masculines, sont instables et, de ce fait, comportent une dimension eutopique embryonnaire comme le révèle la façon dont les femmes réorganisent ou envisagent de réorganiser la société humaine.
Le second groupe est constitué d’eutopies explicites qui, malgré l’image radicale qu’elles projettent, ménagent une place à l’homme après avoir rompu l’ordre patriarcal, rupture illustrée par la structure morcelée du roman de Monique Wittig, et après avoir transcendé androgyniquement la polarisation d’Animus (principe masculin exclusif) et d’Anima (principe féminin exclusif). Bouchard conclut que ces utopies véhiculent les mêmes valeurs que les utopies féministes anglophones. Qu’elles soient implicites ou explicites, ces eutopies réclament la « fin du pouvoir patriarcal et l’instauration d’une société nouvelle fondée la plupart du temps sur une vie communale anarchiste, égalitaire, pacifique, juste, écologique et sexuellement permissive. » Et l’homme, dans la mesure où il aura accepté une nécessaire métamorphose, peut s’insérer dans ces modèles sociaux, réaffirme l’essayiste.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1991, Logiques/Le Passeur, p. 191.