Julie Dallaire

Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Chicoutimi, 2004, 93 pages.

Résumé
Le présent travail traite principalement du fonctionnement narratif des Rêves de la Mer, premier tome d'une série de cinq romans d'Élisabeth Vonarburg. En s'attardant à certains concepts empruntés à Gérard Genette, le premier chapitre, qui s'arrête à la distinction des narrateurs et des niveaux de récit, permet d'expliquer comment la confusion qui en émerge participe toutefois à la création d'effets de réel reliés au genre dans lequel s'inscrit le roman, la science-fiction. Le type de narration choisi, qui est notamment à l'origine de la complexité du roman, reflète d'abord l'éclatement et, paradoxalement, devient aussi le moyen de remise en ordre d'histoires éparpillées. La multiplication des narrateurs s'exprimant à la troisième personne dont la reconnaissance demeure parfois ambiguë, de même que l'emboîtement singulier des niveaux de récit, semblent appeler l'existence d'une instance extradiégétique surpassant le récit autodiégétique d'une narratrice qui est en apparence l'instance première qui raconte l'histoire.

Le deuxième chapitre porte entre autres sur la focalisation, sur la manière dont s'élabore le contrôle du point de vue, sur sa fictionnalisation. L'éclatement narratif, analysé dans le premier chapitre, laisse place à l'éclatement de la vision cognitive et oculaire des personnages, et surtout de celle de la narratrice qui cherche toujours à atteindre, paradoxalement, la « vérité ». La présence de narrateurs science-fictionnels, non omniscients, mais dont les facultés permettent un regard hors du commun sur les événements des histoires qu'ils racontent, suscite des irrégularités narratives devenant le fondement même de l'énoncé et de renonciation. Les paralepses, causées par l'existence de certains dons attribués aux personnages et par la présence des plaques mémorielles, archives extraterrestres, ne peuvent être considérées comme des altérations de mode. Il se produit sensiblement la même chose pour les métalepses, dont les répercussions sont exposées aussi dans ce chapitre. Elles créent la vraisemblance par la remise en cause de l'imperméabilité des niveaux narratifs et de l'identification des narrateurs. Elles appellent aussi une dimension narrative particulière soutenant l'éclatement des narrateurs et spécialement celui de la narratrice qui devient, d'une certaine façon, à chacune de ses interventions, une de ses nombreuses variantes.

Le troisième chapitre, quant à lui, concerne essentiellement les problèmes reliés à l'ordre du récit. L'importance de rétablir l'enchaînement véritable des événements, véhiculée par la narratrice, se heurte en même temps à l'impossibilité d'y arriver. Malgré l'utilisation d'une narration alternée qui entraîne l'éclatement narratif, il semble exister une logique personnelle qui s'apparente à une logique temporelle. Plusieurs éléments causent certains paradoxes temporels dont les métalepses qui, en faisant s'interpénétrer les niveaux de récit, créent une confusion entre le début et la fin des histoires en devenant interchangeables. Outre les métalepses, l'absence de concordance entre les indices relatifs au temps, causée entre autres par l'intervention de données complexes ou fictives difficiles à vérifier, provoque des ellipses imparfaites qui sèment le désordre en suscitant d'autres paradoxes qui s'étalent de renonciation à l'énoncé. La linéarité du temps se voit rejetée par certains personnages. L'éternel présent devient, en quelque sorte, la seule temporalité que l'on peut attribuer au récit. C'est ainsi que le seul fait de raconter, d'écrire, suffit à établir des liens entre des segments d'histoires au premier abord incompatibles.

Le dernier chapitre revient sur les difficultés relatives à la voix, à la focalisation et à l'ordre du récit abordées dans les trois premiers chapitres. De ces accrochages narratologiques émanent des caractéristiques qui rendent le récit vraisemblable. La relativité imprègne renonciation. Les Ékelli, représentants d'un savoir immense dont le roman fait aussi ressortir les limites, ouvrent la porte à une remise en question du concept même d'omniscience qui ne semble relever que de l'utopie. Les trois premiers chapitres ont permis de mettre en évidence la présence nécessaire d'une instance supérieure qui se laisse percevoir alors qu'elle se veut habituellement discrète. Et comme le point de vue adopté par les personnages se rattache apparemment à une instance supérieure dirigeant le récit, les Ékelli ont aussi rendu possible l'hypothèse d'une présence implicite de l'auteur construit. Certains indices nous le laissent entrevoir à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du texte. Cette présence, rejetée par Genette, est mise de l'avant par Jost dont les intérêts pour le cinéma et la narratologie viennent donner un sens nouveau à ce roman mettant en scène un moyen de transmission du savoir s'apparentant à la création, au visionnement d'un film et qui imprègne l'écriture même du roman : les plaques mémorielles.

Table des matières
INTRODUCTION 1

CHAPITRE I : NIVEAUX NARRATIFS AMBIGUS 6
Les Rêves de la Mer : roman de science-fiction 6
Cohérence et emboîtement problématique des niveaux narratifs 8
Eïlai Liannon Klaïdaru 11
Une analepse complétive comme ouverture sur le Rêve 13
Le troisième niveau de récit : des narrateurs hétérodiégétiques 15
Asselrod : une autre histoire à la troisième personne 20
L'histoire de Malik : Rêve implicite ou narrateur omniscient inconnu ? 21
Quand énoncé et énonciation s'entremêlent 24
L'instabilité des niveaux de récit 25

CHAPITRE II : LA « DÉLINQUANCE » NARRATIVE : UNE RÈGLE DE VRAISEMBLANCE 28
Altérations et transgressions narratives : une question de point de vue 28
Les altérations narratives pour qu'advienne la vraisemblance 29
Les plaques mémorielles : un point de vue « cinématographique » 35
Des narrateurs empathiques 38
La perméabilité des niveaux de récit 42
Une première métalepse : l'ajout d'une dimension nouvelle 44
La règle de la perméabilité et de l'instabilité 48

CHAPITRE III : LE TEMPS : UNE DONNÉE TOUTE RELATIVE 52
Temps et cohérence 52
L'histoire de Timmi : une logique temporelle éclatée 53
Entre linéarité, circularité et éclatement 55
De nouvelles énigmes temporelles : « gracieuseté de la relativité, de la propulsion Greshe et de l'hibernine » 60
L'énigme de la porte : résultat de l'archéologie clandestine 65
Entre le journal de bord et le conte 69
La fin du récit et de la narration 71
Écriture et vérité 72

CHAPITRE IV : L'ORIGINE DU RÉCIT : VERS UN « AU-DELÀ » NARRATIF 73
Dissonnance et vraisemblance : entre le relatif et l'absolu 73
La relativité du temps : une mise en abyme du récit 76
Quand le mystère atteint la narration 79
Du narrateur extradiegétique à l'auteur construit 84

CONCLUSION 87
Bibliographie 92