À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Il attend patiemment de tourner à gauche à un feu de circulation quand l’auto qui le suit pousse la sienne. Énervement des deux conducteurs qui en viennent aux coups. L’agresseur à l’origine de l’incident n’a pas le meilleur dans l’altercation ; il regagne à la course sa Ford Escort et s’y enferme. Quand le narrateur brise la vitre de la portière avec son coude, il reçoit une décharge de plombs au visage.
Commentaires
Jean Pierre Girard a écrit plusieurs nouvelles qui se prêtent à une double lecture, réaliste et fantastique, et qui se trouvent, de ce fait, reléguées dans la section « Le milieu des franges » de L’ASFFQ. « À la merci » est la première qui soit résolument fantastique.
Cette nouvelle traite de la violence absurde dans notre monde qui peut être déclenchée par un incident banal. La mécanique est en marche, la violence ordinaire débouche sur un drame. C’est cet engrenage que l’auteur démonte de façon sobre, sans pathos face à sa mort, avec une certaine dose d’ironie et de sarcasme. Le texte est d’ailleurs dédié aux bovins (comprendre : les enragés du volant).
Comme Bertrand Bergeron et d’autres écrivains de l’« école » de L’instant même qui ont souvent utilisé le « tu », Girard a recours à ce procédé non par coquetterie stylistique mais par nécessité, celle-ci étant imposée par le statut du narrateur.
L’emploi du « tu » constitue l’atout majeur de la nouvelle dans la mesure où il permet une double identification. Dans un premier temps, on se sent interpellé comme lecteur, l’auteur nous prenant à témoin d’un incident qui pourrait nous arriver. Très habile. Dans un second temps, comme on le comprend dans l’épilogue (partie III), le « tu » crée un effet de distanciation entre le corps du narrateur et son esprit qui observe la scène finale avec détachement – comme l’ange de Wenders dans Les Ailes du désir – et constate la mort corporelle. Très judicieux.
La structure du récit en trois parties épouse la forme d’une tragédie en résumant objectivement l’événement survenu, puis en laissant libre cours à l’expression des émotions et, enfin, en acceptant le fatum.
On en a lu souvent des nouvelles dont la narration est assumée par un mort mais Girard renouvelle ici le procédé avec une maîtrise et une fraîcheur notables. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 240-241.