À propos de cette édition

Éditeur
Le Beffroi
Genre
Fantastique
Longueur
Novelette
Format
Livre
Pagination
62
Lieu
Beauport
Année de parution
1989
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Jean-François n’est encore qu’un bébé quand un couple de bohémiens l’enlève à ses parents. Il vit avec eux jusqu’à l’âge de dix ans, partageant leur errance, appre­nant à voler pour gagner sa pitance. Mais un jour, ses parents adoptifs périssent dans l’incendie de leur roulotte. Jean-François est recueilli par un curé qui l’arrache des mains des gendarmes qui s’apprê­taient à l’incarcérer pour un lar­cin. Mais le vol est une seconde nature chez l’enfant et la tentation est parfois trop forte. Aussi, s’enfuit-il quand le chef de police arrive en trombe au presbytère.

Dans la forêt avoisinante, il rencontre une belle jeune fille, Rose, qui lui donne un sac magique. Il n’a qu’à dire : « ABRAKI, ABRAKA, ABRA­KAM. Je te veux, tombe dans mon sac ! » et ce qu’il aura désigné se retrouvera en sa possession. Jean-François s’en sert uniquement quand il est à bout de ressources ou pour s’amuser et faire le bien. Il fait cependant connaissance à la ville de la sœur jumelle de Rose, Violette, qui l’incite à utiliser le pouvoir de son sac pour accumuler des biens matériels et vivre dans le luxe. Jean-François doit fuir encore car les gendarmes le pour­suivent toujours.

La nuit venue, il demande l’hospitalité dans une auberge perdue dans la forêt. La vieille tenancière accepte de lui prêter une chambre en précisant qu’elle est hantée par le diable. Jean-François promet de capturer le diable en échange du loyer de la chambre, ce qu’il fera avec son sac magique. Surpris à nouveau le lendemain matin par le chef de police, il apprend qu’on ne lui veut aucun mal : on veut tout simplement lui présenter ses vrais parents qui vivaient dans le village voisin.

Commentaires

Après avoir écrit dans les années 1940 deux romans populaires qui ont nourri toute une génération de lecteurs et les membres de sa famille, après avoir réussi une carrière dans les affaires (les cretons et les saucisses Taillefer, c’était lui), l’ex-directeur du quotidien La Presse a choisi d’écrire pour ses petits-enfants. Abraki, Abraka, Abrakam ou Le Sac magique est en effet un conte pour jeunes dans lequel se joue l’éternel combat entre le Bien et le Mal. Comme l’auteur le montre bien, ces deux pôles habitent l’être humain. Jean-François se sent attiré par Rose et par Violette, petites fées jumelles qui représentent le Bien et le Mal. En captu­rant le diable, l’enfant se rendra compte qu’il était en lui-même.

Le conte de Roger Lemelin n’est pas très éloigné des contes québécois du XIXe siècle. Il fait partie de ce courant qui utilise les convictions religieuses populaires pour faire accepter l’intrusion du surnaturel dans le réel. Il est amusant aussi de constater que le conte de Lemelin, inconsciem­ment ou non, reprend un des clichés propres aux contes du siècle dernier. Jean-François rencontre Rose, la bonne fée, dans un cadre champêtre tandis qu’il fait la connaissance de Violette, la mauvaise fée, à la ville. L’anta­gonisme milieu urbain/milieu rural, qui se traduit par l’opposition entre le Bien et le Mal, apparaît comme une persistance de la pensée ultramontaine.

Le prosélytisme religieux a été gommé mais la morale est sensiblement la même. L’auteur a tout simplement modernisé le cadre pour rendre son récit plus captivant. Sur ce point, le travail de Lemelin n’est pas tout à fait convaincant. La présence de bohémiens qui se déplacent en roulotte tirée par des chevaux évoque une époque antérieure à la nôtre, qui pourrait se situer au milieu du siècle. Or, des notations ultérieures, particulièrement quand Jean-François se rend à la ville, indiquent que le récit a lieu à notre époque.

Plus grave encore me semble l’incapacité de l’auteur à fusionner les éléments des deux cultures auxquelles il emprunte. Dès la première page, la présence de bohémiens contribue à placer le conte dans la tradition euro­péenne puisque les romanichels ne font pas partie de notre culture et de notre inconscient collectif. Le paysage, le mode de vie, l’air du temps, tout est d’inspiration européenne, pour ne pas dire française. Je n’ai rien contre, on se croirait dans la France profonde et ça me plaît bien. Or, dès que Jean-François arrive dans la grande ville, on se retrouve en Amérique du Nord, voire même peut-être à Montréal. C’est moins la présence d’un restaurant McDonald’s qui me fait dire ça (en passant, si grand-papa Roger avait lu son conte avant publication à ses petits-enfants, ceux-ci lui auraient sûrement signalé que les restaurants McDonald’s ne vendent pas de hot-dogs. Il est vrai que l’auteur ne doit pas fréquenter souvent ce genre d’établissements.) que la participation de l’enfant comme spectateur à un match de baseball dans un grand stade.

À mon avis, Abraki, Abraka, Abrakam se trouve assis entre deux cultures (européenne d’une part, américaine d’autre part) et entre deux époques, ce qui n’est pas recommandé pour le conte qui a ses propres exigences d’unité, d’homogénéité parce qu’il s’agit d’un univers clos sur lui-même. Ce ne sont pas les enfants qui vont s’en formaliser, remarquez bien. Mais l’histoire littéraire est plus exigeante et je doute qu’elle daigne faire une petite place à ce conte, malgré la qualité de son écriture, dans sa bibliothèque idéale. [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 120-121.

Références

  • Guay, Gisèle, Lurelu, vol. 12, n˚ 3, p. 11.
  • Noël, André, La Presse, 10-06-1989, p. K 3.