À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Le narrateur s’adresse à Cœur de Soleil, une femme qu’il a aimée et avec qui il a vécu quelques années. Il lui raconte sa vie depuis qu’il se soumet à des expériences d’implants oculaires pour le compte de la compagnie Matsuoshikan. Son mentor et chef d’équipe Shibumo ayant cédé les résultats des expériences au ministère de la Défense, le narrateur s’apprête à accepter une offre d’une compagnie concurrente, la Siemens-Phillips. Mais deux agents sont sur ses traces…
Commentaires
Résumée ainsi, la longue nouvelle de Claude-Michel Prévost semble limpide et convenue. Il n’en est rien, pourtant : je ne suis pas sûr que ce résumé soit fidèle à la trame narrative du texte. « Adieu aux armes pour une fourmi-soldat » est une longue déclaration d’amour à une femme aimée et abandonnée qui structure les mille et une perceptions du narrateur sous influence. On comprend à travers ce qui semble un délire contrôlé qu’il sert de cobaye, avec un groupe de Japonais, à des expériences secrètes d’implants oculaires. La fin ménage un certain suspense car le narrateur croit qu’il sera éliminé par deux tueurs à gages parce qu’il en sait trop.
Pas facile d’entrer dans cette nouvelle, la dernière qu’a publiée Claude-Michel Prévost. Au début, on est complètement perdu et il faut accepter de ne pas saisir le propos. On a vraiment l’impression que l’auteur est allé au bout de sa démarche d’écriture en dix ans de pratique, qu’au-delà de cette volonté de déconstruire le récit, il n’y aurait plus de communication possible. Comme les expériences portent sur la vision, le style, par effet de mimétisme, multiplie les images fortes, poétiques, flamboyantes. La nouvelle commence ainsi : « Il y a un lac que pleurent deux vieux glaciers figés sous le soleil, un lac de lait à la menthe, une larme qui saigne de la sève des sapins. » C’est comme ça tout au long du texte.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à l’écriture d’Hubert Aquin dans Prochain Épisode. Le lac Léman est remplacé ici par le lac Louise qui a effectivement l’air d’un « lac de lait à la menthe ». Les allusions nombreuses aux Rocheuses et à l’Alberta font écho, aux yeux du narrateur, aux derniers endroits de beauté pure – c’était avant les sables bitumineux ! L’évocation de ces paysages jumelée avec la description des altérations sensorielles que subit le cobaye produit tout un effet déstabilisant. En outre, l’identité japonaise des collègues du narrateur ajoute un sentiment d’étrangeté car celui-ci étant anonyme, le lecteur a tendance à l’associer à l’auteur – qui est d’origine haïtienne. Au demeurant, la nouvelle s’inscrit dans le courant cyberpunk auquel l’écrivain n’est pas étranger depuis sa première publication en 1986.
Claude-Michel Prévost est l’un des plus singuliers auteurs québécois de science-fiction. Sa prose est unique, incantatoire, d’un souffle poétique incandescent. « Adieu aux armes pour une fourmi-soldat » constitue vraisemblablement son chant du cygne littéraire, quoique le titre soit suivi de la mention « Part One ». La nouvelle laisse planer le doute sur l’élimination du narrateur et justifierait une deuxième partie. Mais ce n’est peut-être là qu’une autre des chausse-trappes dont l’écrivain aime parsemer ses textes. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 156.