À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Alice Rivard habite chez ses parents, à Brossard, en banlieue de Montréal. Elle va au cégep, fréquente sa meilleure amie Mélanie et a un petit ami qui se prénomme Julien. Somme toute, Alice mène une petite vie tranquille, celle d’une adolescente moyenne de dix-sept ans. La découverte des questions fondamentales de la vie et une lecture au premier degré d’Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche, la persuadent de partir de chez elle pour vivre une vie plus libre, hors de la morale courante. Le jour de sa majorité, elle annonce à ses parents qu’elle les quitte pour aller s’installer à Montréal. Alice décide d’envoyer tout promener afin de prendre un petit appartement d’un quelconque quartier qui n’existe sur aucune carte.
Débarquée dans ce drôle d’univers dans lequel les règles ne sont pas les mêmes que celles d’où elle vient, Aliss fait la connaissance de Verrue, un type pas très rassurant et un peu légume qui vit dans un appartement minable et insalubre. À cœur de jour, ce dernier fume des joints en écoutant de la musique quétaine (Louvain, Dassin, Francis Martin, etc.). À ses propres dires, il est en train de devenir un cocon qui se transformera prochainement en papillon. Aliss ne cherche pas trop à comprendre la symbolique dans le discours de son voisin de palier, mais elle profite du passage du beau Mario chez Verrue pour vivre ses premières expériences sexuelles plus intenses.
Son emploi de serveuse dans un restaurant ne la satisfaisant plus financièrement, elle se trouve rapidement un travail comme danseuse chez Andromaque afin de pouvoir se payer les drogues dont elle est devenue dépendante : la micro et la macro qui lui permettent à chaque fois de franchir de nouvelles étapes, de nouvelles portes. En quête de son identité, Aliss a de nouveaux buts et elle sait qu’elle ne trouvera pas les réponses à ses questions tant qu’elle ne rencontrera pas la Reine rouge, une jeune femme du nom de Michelle Beaulieu, qui règne en maître sur ce monde parallèle complètement déjanté. Avec la complicité de Chess et des inséparables mais redoutables Bone et Chair, Alice trouve son chemin qui la mène directement au Palais dans lequel elle deviendra un sujet de la Reine, et où elle trouvera finalement ce qu’elle cherchait vraiment depuis longtemps… LA bonne question.
Autres parutions
Commentaires
Voilà un bien ambitieux projet que celui de Patrick Senécal : revisiter Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll, ce roman culte de la littérature anglaise. Mais à la manière Senécal, cela donne évidemment un suspense du tonnerre et un environnement assez rajeuni. Les rapprochements avec le classique de Lewis Carroll sont étonnants : à propos de l’histoire racontée, on peut dire que les éléments s’enclenchent chronologiquement à peu près de la même façon dans les deux œuvres. Si les chemins empruntés par Alice/Aliss se ressemblent – pour la première, c’est le puits/tunnel et pour l’autre, le métro de Montréal –, Patrick Senécal s’est aussi fortement inspiré des personnages d’Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de l’écrivain anglais. Outre Alice qui cherche sa propre identité et qui prend ses conseils d’une chenille (Verrue dans Aliss), on rencontre aussi la Reine rouge (même nom dans Aliss) tandis que le Lièvre de Mars et le Chapelier rappellent étonnamment les Bone et Chair du roman de Senécal avec leurs jeux de mots et leurs devinettes. Évidemment, on se doute bien que si les ressemblances entre les deux œuvres sont frappantes, les différences, quant à elles, se creusent en forme de fossé de générations : liberté de penser, morale, drogues et sexe font la vie dure au jeu des comparaisons.
Le fantastique de Senécal est quant à lui très efficace. L’auteur a une facilité à installer le lecteur dans un réel bien campé, mais il a aussi le talent pour contrôler les dérapages dans le fantastique : le personnage de Verrue est certainement l’un des meilleurs exemples, car on ne sait jamais si tout ce qu’il dit est vrai. Comme Aliss, le lecteur est souvent plongé dans le doute, entre rationnel et irrationnel. Mais tout cela fait partie intégrante du décor. La progression du conte de Senécal se fait lentement mais sûrement, on sent bien toute la tension monter à travers le personnage de la jeune Aliss qui va de découverte en découverte. Certaines sont d’ordre sexuel, d’autres proviennent des narcotiques qu’elle consomme de plus en plus. Là est le talent de Senécal : convaincre bien comme il faut le lecteur de le suivre dans la mise en scène qu’il a orchestrée pour lui, et dans Aliss, cette mise en scène n’est pas toujours plaisante à voir et à vivre, comme il n’est jamais agréable de voir quelqu’un s’enfoncer toujours un peu plus dans la dèche. C’est pourtant à cette descente aux enfers qu’on assiste lorsqu’Aliss plonge dans la toxicomanie et découvre deux drogues dures : la micro qui intériorise l’être et la macro qui l’extériorise. Bientôt, Aliss découvrira une autre sorte de drogue, la royale, la drogue du sexe qui place dans des dispositions adéquates les individus prêts à s’éclater sexuellement.
C’est cependant lorsqu’elle est à froid et qu’elle n’a pas pris de drogue – et ça n’arrive pas souvent dans ce livre – qu’Aliss va connaître le mal et la cruauté. En effet, c’est à travers les expériences de Bone et Chair, deux personnages que Senécal réussit à camper très efficacement, que s’orchestre devant nos yeux une des scènes les plus insoutenables du livre, voire de la littérature québécoise : ils effectuent leur recherche de l’âme en décapitant sous les yeux d’Aliss un corps bien vivant et bien gigotant. Puis, comme si ce n’était pas assez, les deux faux médecins se mettent à forniquer à quatre pattes dans les entrailles et le sang. À peine remise de ses émotions, Aliss poursuit néanmoins sa chute, plongeant tête première dans la débauche et la prostitution pour le compte de la Reine rouge, Michelle Beaulieu, qui s’avère être un personnage bien connu des lecteurs de Patrick Senécal puisqu’elle est aussi une protagoniste du premier roman de l’auteur, 5150, rue des Ormes (Guy Saint-Jean, 1994 et Alire, 2001).
Outre l’intertextualité avec le roman de Lewis Carroll, les références à la littérature, mais surtout à la philosophie, sont bien présentes dans ce livre. Si Nietzsche et son œuvre, Ainsi parlait Zarathoustra, occupent une place importante comme fil conducteur d’Aliss, on rencontre aussi Diderot, Rousseau, Voltaire et le Marquis de Sade. Cela n’est pas très étonnant puisqu’après tout, Aliss est aussi un conte philosophique montrant une adolescente en quête de son identité. Cependant, dans la bouche du couple sadomaso Mickey/Minnie, c’est Sade qui sort le grand gagnant des philosophes du XVIIIe siècle, étant le seul vrai révolutionnaire de l’époque parce qu’il criait haut et fort ses quatre vérités à Dieu et au Roi, au contraire de Diderot, Rousseau et Voltaire qui cachaient leurs pamphlets sous le couvert de contes.
La narration à la première personne est efficace et les quelques interventions du narrateur omniscient, au début de chacun des chapitres, ne sont pas gênantes et sont là pour nous rappeler que nous sommes dans un conte bien structuré et régi selon ses lois. La présence du narrateur à la troisième personne apporte un peu de bonne conscience au lecteur dans les moments les plus difficiles de l’œuvre et parfois le fait même sourire, lui rappelant le bon fonctionnement du schéma actanciel.
Finalement, on peut dire sans l’ombre d’un doute qu’il s’en passe des vertes pis des pas mûres entre le traditionnel Il était une fois… et le non moins traditionnel… et elle vécut heureuse et eut beaucoup d’enfants ! que certains lecteurs, en raison des malheurs vécus par l’héroïne, auraient préféré voir apparaître quelques centaines de pages plus tôt. Même si ce dur roman s’est vu interdit de lecture dans les écoles secondaires – et avec raison –, il n’en possède pas moins des qualités puisqu’il a remporté le prix Boréal du meilleur roman en 2001. [FBT]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 153-155.
Prix et mentions
Prix Boréal 2001 (Meilleur livre)
Références
- Bérard, Sylvie, Lettres québécoises 104, p. 38.
- Bonin, Pierre-Alexandre, Collections, vol. 2, n˚ 6, p. 14.
- Péan, Stanley, La Presse, 07-01-2001, p. B2.
- Vonarburg, Élisabeth, Solaris 136, p. 112-116.