À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
En cette veille de Noël, Abraham, le bedeau de Saint-Firmin, succombe à la tentation de la bouteille mais il s’en veut terriblement. Il entend la voix des deux cloches de l’église, Sainte-Jeanne et Sainte-Claire, lui faire des reproches et sa femme Sara le traiter d’ivrogne quand il rentre chez lui. Peu avant minuit, au moment de sonner sa messe, Abraham se confesse à ses cloches et s’envole dans le ciel avec elles, transporté par la solennité de la nuit.
Commentaires
Voilà un conte de Noël qui, malgré qu’il date de 1950, est quelque peu iconoclaste et irrévérencieux. Son protagoniste, Abraham, incarne les tourments d’un modeste homme déchiré entre les responsabilités qui lui incombent en vertu de son statut et l’envie de transgresser les règles de tout bon chrétien.
Jean-Paul Fugère nous rend son héros sympathique, si bien que le lecteur compatit à son drame. Abraham souffre du peu de considération que son rôle de bedeau lui vaut et cela l’attriste au point de vouloir noyer sa peine dans la boisson. Bafoué par ses concitoyens, méprisé par sa femme, il cherche une forme de reconnaissance qui lui rendrait sa dignité. Paradoxalement, alors qu’il baigne dans l’eau bénite, pour ainsi dire, et est proche des célébrations du culte, il se voit au bas de l’échelle sociale. Il connaît son heure de gloire le soir de Noël, à l’approche de la messe de minuit, quand il sonne si fort ses cloches qu’il se retrouve dans le ciel où il domine son village. Il se permet même de défier l’autorité du curé et de corriger au passage le marguiller Larouche, un rat de sacristie.
La rédemption d’Abraham est cependant de courte durée car il est bientôt ramené sur terre et « roulé » dans la neige par les paroissiens. On peut y voir, je crois, une métaphore de la condition du Québécois moyen au milieu du XXe siècle qui tente de secouer ses chaînes (les cordes des cloches) sans y parvenir plus que le temps d’une brève révolte. Texte annonciateur, tout de même, des bouleversements sociaux de la décennie qui va suivre.
Incidemment, le conte de Fugère illustre plusieurs péchés capitaux. Il y a d’abord l’ivrognerie, stigmatisée dans de nombreux contes du XIXe siècle. Il y a aussi l’orgueil et la jalousie. Quand Abraham, comblé, virevolte dans les airs, il surprend une confidence des cloches qui trouvent le bedeau « beau comme un roi mage » dans son costume d’apparat. Abraham ne peut s’empêcher de se gonfler, ce qui menace aussitôt de le faire couler vers le sol. Même danger quand il voit un ange si complice de des deux cloches qu’il en ressent de la jalousie.
« Les Amours d’Abraham » comprend de belles figures de style et un riche sous-texte propice à une interprétation sociologique. Dans la dernière partie du conte, on se croirait dans une toile de Chagall. La chute n’en est que plus percutante. Toutefois, l’écriture de Jean-Paul Fugère est encore mal assurée, ce qui transparaît particulièrement dans l’utilisation du temps des verbes qui se révèle chaotique. [CJ]