À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Après la grande Épidémie, les Cités se sont retranchées dans l’autarcie et l’isolement. L’une d’elles s’est développée en fonction d’un pouvoir exclusivement mâle. Dans cette Cité, seuls vivent des hommes, qu’ils appartiennent au groupe des Il-il-s – les mâles intégraux et violents, détenteurs de tous les pouvoirs – ou à celui des Il-elle-s – les plus doux, condamnés à servir de maîtresses et d’esclaves auprès des mâles dominants. Pour se reproduire, les Il-il-s devenus Chasseurs vont capturer des Elle-elle-s dans d’autres Cités.
Lorsque Il-il trente-huit revient de la Chasse avec sa nouvelle proie, Il-elle trente-huit ne peut s’empêcher de sympathiser avec elle-elle. En l’absence du mâle, il-elle parle avec elle-elle. Celle-ci lui apprend qu’elle se nomme Énire et qu’elle habite une Cité où hommes et femmes sont égaux. Il-elle s’évadera avec elle-elle.
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Commentaires
Ce résumé le dit : en rédigeant sa nouvelle, Guy Bouchard n’a pas voulu distinguer langage et idées, il les a plutôt fusionnés afin que l’illustration soit la plus éclatante possible. Cette technique donne une profusion de « Il-il », de « Il-elle », de « Elle-elle » et de « Elle-il », fort pertinents et bien utilisés d’ailleurs, en plus d’expressions étonnantes comme « son compagne » et « son favorite », ainsi que des mots nouveaux tels « il-il-ité ». Cela n’est pas vraiment inédit, même en littérature québécoise, André Carpentier ayant déjà utilisé “Ille” pour désigner les êtres bisexués d’une de ses nouvelles. Toutefois, l’utilisation aussi systématique de ces nouveaux "signes" constitue probablement une première en SFQ.
Guy Bouchard est un cas particulier dans la littérature québécoise de science-fiction. Il est un des seuls, en effet – sinon le seul, mais accordons-nous une marge d’erreur –, à produire à la fois des textes théoriques très élaborés et des textes de fiction à l’envergure considérable (son roman Les Gélules utopiques, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, est un événement marquant en SFQ). Ses préoccupations, ses interrogations et ses idées passent indifféremment de la théorie à la fiction, celle-ci devenant pour lui le complément à celle-là, comme c’est le cas pour « Andropolis », gagnant du concours Septième Continent 1989.
Le titre nous annonce sans ambages le propos. Il s’agira de présenter une ville – une Cité – dirigée par et pour des hommes, c’est-à-dire une ville où les femmes ne seront pas reconnues comme des êtres humains à part entière. À partir de cet horrible postulat, l’auteur a imaginé un monde effroyable, littéralement cauchemardesque, mais d’une cohérence inattaquable. Comme dans tant de récits de SF post-cataclysmiques, c’est une « grande Épidémie » qui a préparé le terrain à cette dégénérescence sociale et à cette barbarie renouvelée.
Les femmes sont exclues de cette société ? Bon. Alors qui va s’occuper des tâches ménagères et assurer la satisfaction sexuelle ? Solution : créer deux catégories d’hommes, les durs et les doux, les dominants et les serviles, les Il-il-s et les Il-elle-s. Voilà. La société est entièrement mâle, donc nécessairement homosexuelle. Mais la reproduction dans tout cela ? Les Il-il-s partent en chasse pour quérir des femmes. Capture, violence, viol, séquestration, tout cela est permis. Les femelles ne sont que des « organes » dégoûtants, ne l’oublions jamais.
Un cauchemar, vous dis-je. Qui soulève le cœur comme les plus sanglantes scènes du cinéma américain. Violent comme un film pornographique qui n’aurait aucune intention, disons, "érotique". Mais attention : en écrivant cela, je ne condamne pas le texte de Guy Bouchard, bien au contraire. Certains coups de poing sur la gueule sont plus parlants que les plus jolis discours, c’est connu.
Guy Bouchard nous peint une dystopie où les réelles inégalités séculaires entre hommes et femmes sont poussées à leur paroxysme, ritualisées, élevées au rang de choses sacrées. Mais au fil de son texte, l’auteur insiste sur la dualité de chaque être humain : tous et toutes, nous possédons une dimension féminine et une dimension masculine. Cette prise de conscience devrait effacer en nous toute tendance à la discrimination sociale basée sur le sexe. Si la Cité des mâles représente l’aboutissement logique de la folie misogyne, il existe aussi une autre Cité, celle où vit Énire, dans laquelle les hommes et les femmes sont égaux. Dystopie et utopie, désespoir et espoir, se côtoient donc dans cette nouvelle. Il-elle trente-huit choisira librement de vivre dans un monde meilleur qui – c’est rassurant pour nous – ressemble un peu au nôtre.
Si Guy Bouchard nous montre à nouveau qu’il ne sera sans doute jamais un grand "écriveur" (certains disent "styliste") ni un créateur d’intrigues à tout casser, on doit pourtant accorder à cette nouvelle la même importance qu’à son roman Les Gélules utopiques dont elle est en quelque sorte le prolongement. [DC]
- Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 36-38.
Prix et mentions
Prix Septième Continent 1989