À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[4 FA ; 3 HG]
Aski-y. La Genèse de la Création du Monde
Ani-hi-ya. La Genèse de l'Homme
Sawa-ni-yottin. Vent du Sud
Mist-atim. Le Cheval volant
Magah. Le Petit Homme
Opaskuwi-pisim. La Lune où les oiseaux perdent leurs plumes
Ayâmi. La Rivière perdue
Commentaires
Anish-Nah-Bé, sous-titré Contes adultes du pays algonkin, est le premier des deux recueils de contes publiés par Bernard Assiniwi au début des années 1970. Ils présentent une même structure, soit sept textes chacun, mais dans le présent cas, seuls les quatre derniers contes sont fantastiques. Les trois premiers relatent la genèse de la création du monde et se situent dans un temps antérieur à l’apparition de l’espèce humaine sur terre. Pour cette raison, on ne peut parler de textes fantastiques. Cela relève plutôt de la cosmogonie.
Par ailleurs, les récits légendaires mettent en scène différentes tribus (les Ne-Hi-Ya-Wok, les Anish-Na-Ba, les Iyiniwok qui signifient peut-être « les hommes » dans différentes langues, ce n’est pas clair) et s’inscrivent dans un territoire qui correspond à l’Ouest canadien, tandis que le second recueil se restreint à la région de l’Outaouais.
Il y a dans l’écriture de Bernard Assiniwi un ton théâtral et incantatoire qui se traduit par de nombreuses répétitions et formules figées pour décrire certaines réalités. Cela confère à sa prose un caractère sacré, certes, un substrat mythologique nourri d’intemporalité, mais il en résulte aussi une lourdeur qui finit par accabler le lecteur. Ainsi en est-il de l’expression pour définir l’homme blanc : « l’homme à la peau couleur de l’écorce du grand bouleau du Nord quand il prend sa teinte d’hiver ». La périphrase est belle et poétique mais reprise plus de vingt fois dans un texte de 14 pages, cela devient lassant.
Le texte en question s’intitule « Magah » et constitue en quelque sorte une version amérindienne des lutins. Comme eux, le peuple des petits hommes qui vit sous terre et dont Magah est un représentant s’amuse à faire des nœuds la nuit dans la crinière des chevaux. C’est le récit le plus intéressant du recueil, à mon avis, car l’auteur esquisse un portrait saisissant du déclin de l’Amérindien, dont le statut passe d’être libre et indépendant à paria confiné dans une réserve. Magah prédit en effet à un Anish-Na-Bé l’acculturation de son peuple et son asservissement à la civilisation de l’homme blanc dont le symbole annonciateur est l’adoption de la tente de toile de marine au détriment du wakinagan (habitation d’épinette rouge). Plus nuancé que le vitriolique portrait de l’homme blanc dans « Wimitigoji. L’Intrus » (second recueil), « Magah » est un récit touchant et lucide qui convainc davantage qu’un réquisitoire, aussi justifié soit-il.
Avec « Opaskuwi-Pisim. La Lune où les oiseaux perdent leurs plumes », le ton se fait pour une rare fois humoristique et léger. Ce petit conte moral décrit de façon poétique et ludique les conséquences que peut entraîner un excès de zèle auquel succombent les hommes et les femmes dans leurs relations amoureuses pendant les nuits chaudes de juillet.
Enfin, « Ayâmi. La Rivière perdue » évoque le royaume des morts dans la culture amérindienne. Il s’agit là aussi d’une mise en garde dont ne tient pas compte le personnage principal, Ayâmi, qui fait fi des superstitions et va ainsi à l’encontre des mœurs de son peuple. Ce rejet des valeurs traditionnelles au profit de la modernité apportée par l’homme blanc représente le plus grave danger pour la survie des peuples amérindiens – davantage que la nature ou la famine – et constitue la toile de fond du recueil.
Le premier texte fantastique, « Mist-Atim. Le Cheval volant », synthétise très bien l’équilibre à atteindre entre tradition et modernité. Imasi se sert d’un cheval, introduit en Amérique par les Européens, pour tenter de rattraper le troupeau de bisons mais la monture demeure finalement accessoire : c’est par sa connexion avec l’esprit de Kije-Manito qu’Imasi réussit un bond prodigieux.
Au-delà de l’irritant que génère le recours aux lettres en capitales pour désigner les mots amérindiens qui se trouvent dans le lexique à la fin du livre – il aurait été préférable de les faire suivre d’un astérisque, par exemple –, Anish-Na-Bé est une intéressante introduction à la culture orale autochtone dont Bernard Assiniwi a été le premier interprète en français. [CJ]
Références
- Destrempes, Hélène, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec V, p. 30-32.