À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Arrivé de nulle part, John Black se présente au village comme un vendeur de trous. Il les offre d’abord à l’épicière, qui n’est pas sûre d’avoir la place d’en vendre, puis Black s’installe sur une terre et entreprend la culture de ses arbres à trous, les troupiers. Bientôt, tout le monde s’arrache ses trous, ce qui dérange beaucoup le maire et le bedeau, qui complotent contre Black. Ce dernier ajoute bientôt à son commerce l’achat et la vente de trous d’occasion et les affaires vont bon train quand les deux comploteurs, en désespoir de cause, empoisonnent le champ d’arbres à trous. Black, qui a déjà vendu sa terre et son commerce à l’épicière, découvre le crime et avertit les villageois des graves conséquences d’un tel empoisonnement. Pendant que les villageois paniquent et s’emparent du maire et du bedeau, John Black s’en retourne tout bonnement comme il est venu.
Commentaires
Voici un texte qui propose un fantastique qui puise son inspiration dans un surréalisme de bon aloi. Ce John Black, personnage énigmatique que la narratrice – qui se représente toujours comme celle qui rêvasse, les deux pieds sur le dossier de la chaise, et qui est une personnification directe de l’auteure imaginant son histoire – fait apparaître et retourner de nulle part, peut être vu comme une figure nettement plus moderne du diable de nos légendes, un diable duquel toute connotation religieuse a été enlevée. Ce diable-devenu-homme demeure cependant, tout comme son ancêtre, fascinant, inquiétant et quasi omniscient. Modernité oblige, le voici tentateur non plus avec la réalisation d’un quelconque désir en échange d’une âme, mais en offrant une marchandise spéciale – des trous – comme un vulgaire homme d’affaires ! Il est par contre très intéressant de noter la « vacuité » de ce qui attise les désirs des villageois. L’auteure a-t-elle voulu faire là un parallèle avec la vacuité de tout désir, particulièrement celui de consommer ? Une chose est certaine, c’est que John Black, grâce à ses trous, mènera les villageois tout droit à leur perte avant de tout bonnement s’évanouir dans la nature, et en ce sens on reconnaîtra la même efficacité aux méthodes modernes !
Deux autres éléments rendent encore plus intéressants ce texte. Tout d’abord, il y a la description caustique de la population du village. Il apparaît que l’auteure voit dans ces personnages des gens dépassés par la modernité, qui ne savent se prémunir contre ses dangers puisqu’ils sont demeurés ancrés dans l’ancienne réalité. Ce décalage explique peut-être la facilité qu’a John Black à les berner, mais aussi les agissements frauduleux du maire et du bedeau qui, sans cette perspective, pourraient paraître passablement gratuits. Enfin, il y a la surenchère que l’auteure s’amuse à faire avec son idée de trous palpables et quantifiables. Car si, au début, John Black se contente de faire pousser des trous grâce à ses arbres, l’élargissement du concept vers le trou d’occasion permet de faire décoller tout ça avec la récupération des trous d’occasion – ceux des chaussettes, des paniers percés –, mais aussi du trou plus conceptuel, comme le trou dans la conversation, le trou de mémoire, etc. S’il est difficile au lecteur de se représenter mentalement de telles images – puisque nous nageons en plein surréalisme –, il n’en demeure pas moins que l’auteure exploite au maximum son idée. Et la pousse même à ses extrêmes limites lorsque, à la toute fin, John Black explique aux villageois abasourdis les conséquences désastreuses – et aux proportions cosmiques ! – qui découleront de l’empoisonnement du champ s’ils laissent les choses dégénérer.
« L’Arbre à trous » est donc non seulement une nouvelle intéressante à (re)lire, mais aussi un parfait reflet de la profonde mutation qui secouait à cette époque les fondements même de la société québécoise francophone. [JPw]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 79-81.