À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
[9 FA ; 7 HG]
L'Arbre des rêves
Carcajou
Grand Monarque
Le Beau Danseur
Le Cheval noir
Marmites ensorcelées
La Poule noire
La Sainte Catherine
Maisons hantées
Revenants
Loups-garous
La Lune blanche
Jos Norwess
Chasse Gallery
Le Rocher-Malin
Gaspésiades
Commentaires
L’Arbre des rêves de Marius Barbeau est un joyeux fourre-tout dans lequel on trouve des légendes, des faits historiques, de croyances de toutes sortes glanées par l’ethnologue sur le terrain, particulièrement dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie. Plusieurs textes prennent la forme d’une succession de notes consignées dans un carnet. Ces textes relèvent de l’ethnologie car ils constituent avant tout une étude des croyances fortement ancrées dans la population au début de la colonie jusqu’au seuil du XXe siècle.
La pratique de l’ethnologue est transparente dans « Revenants » alors qu’il reproduit un témoignage sur ce sujet recueilli auprès de la famille de Prudent Sioui (le père, la mère et la fille Elzire). Plusieurs contes du père ont été publiés dans The Journal of American Folk-Lore sous les bons soins de Marius Barbeau. La matière brute sur les croyances d’antan se retrouve aussi dans « Maisons hantées » et « Gaspésiades », compilation de faits rapportés sur des trésors enfouis, des morts revenus d’outre-tombe pour payer leur dette, des créatures fantastiques – réelles ou fantasmées – comme le Braillard (de l’Anse-pleureuse, de la Madeleine).
Pour la fiction, il faut se rabattre sur des récits historiques et quelques contes classiques mettant en scène le diable beau danseur et des loups-garous. Les premiers ont très mal vieilli. « L’Arbre des rêves » et « Carcajou » sont fortement imprégnés de religiosité puisqu’ils racontent un fait édifiant datant de la période de contact entre les Blancs et les Autochtones, période marquée par une volonté d’évangélisation des habitants du Nouveau Monde. Le prosélytisme chrétien, souvent doublé d’une hargne contre les autres religions, atteint son paroxysme dans « Grand Monarque », récit dénué d’éléments fantastiques. Il retient néanmoins l’attention en raison de son fanatisme troublant. Un groupe de colons français ayant à leur tête un missionnaire, accompagné d’Iroquois fraîchement convertis, organise une expédition punitive en terre américaine afin de se réapproprier une cloche destinée à leur église. Des protestants avaient acquis cette cloche volée par des pirates lors de son transport en mer. Cela justifie-t-il la mort de 47 des 300 habitants du village de Deerfield, bilan de l’attaque du commando français pour reprendre la cloche ?
Si « Le Beau Danseur » et « Le Cheval noir » n’innovent pas en ce qui concerne la représentation du diable puisqu’il s’agit là de versions classiques de ces contes, il en va autrement de « La Sainte Catherine ». La prémisse est connue : une jeune fille qui n’est pas mariée à 25 ans à la fête de sainte Catherine souhaite, en désespoir de cause, que le diable l’emporte vivante plutôt que de coiffer sainte Catherine et de demeurer « vieille fille ». Or la version de Barbeau présente une jeune femme qui s’éloigne du stéréotype de la coquette et de la séductrice qui minaude, qui fait languir les garçons, voire même son fiancé, trop sûre de sa beauté.
Dernière de sa lignée, Nanette apparaît ici comme une victime, frappée d’une malédiction, peut-on supposer, en raison de la conduite de son père et de son grand-père paternel, « galants avec les créatures ». Un lourd secret familial pèse sur elle, cause de son malheur : « Si tous les descendants, à Vaudreuil, portaient leur nom véritable, leur lignée n’en serait pas sur le point de s’éteindre, comme elle l’est. » L’allusion est claire : il y a des bâtards non déclarés dans la famille. Nanette mérite-t-elle le châtiment qui lui est réservé pour des fautes commises par ses ascendants ? C’est bien plutôt cette vieille dame, grand-mère Tremblay, qui devrait être punie tant elle manque de compassion et ne cherche qu’à humilier Nanette en voulant à tout prix lui faire porter la coiffe odieuse. Dans ce conte, le diable ne joue qu’un rôle de figurant : il n’entraîne pas la jeune femme en enfer. La mélancolie de Nanette, sa solitude, son destin tragique, sa malédiction sous-entendue, tous ces éléments concourent à la sensibilité et à l’originalité du récit, véritable pépite cachée dans le capharnaüm qu’est L’Arbre des rêves.
Outre la forme qui déconcerte dans le recueil, oscillant entre le témoignage et la fiction, il y a aussi l’intention véritable de l’auteur qui soulève des questions. Barbeau souffle le chaud et le froid comme l’illustre « La Lune blanche ». Dans la première partie du texte, il fait part d’un fait survenu à un homme de La Valtrie changé en veau parce qu’il ne s’était pas confessé depuis sept ans. Il avait été délivré lorsqu’un voisin avait entaillé avec un canif la tache blanche qu’il avait au front pour qu’il saigne. Dans la deuxième partie, comme pour discréditer ce récit, Barbeau raconte le subterfuge dont usent Jos Violon et Tom Caribou – celui-là même qui a rapporté l’anecdote précédente – pour s’emparer d’une vache avec une tache blanche au front en profitant de la crédulité de son propriétaire qui croit aux loups-garous. Peut-on croire dès lors la parole de Tom Caribou ?
Il est vrai que les conteurs du XIXe siècle aimaient parfois semer le doute à la fin de leur récit, mais jamais de façon aussi peu subtile. L’esprit scientifique de l’ethnologue ne peut manifestement pas s’empêcher de rationaliser ces témoignages mais l’écrivain, lui, peut (et doit) suspendre son sens critique pour accoucher d’une œuvre qui, pour être fantastique, n’en est pas moins fort représentative de l’âme d’un peuple. Laissez-nous rêver, monsieur Barbeau ! [CJ]
Références
- Labrie, Vivian, Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec III, p. 871-873.
- Pichette, Jean-Pierre, Dictionnaire des écrits de l'Ontario français, p. 54.