À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
La famille Tremblay a déménagé sur Tiäne, la planète des lézards – la Terre sale, polluée et surpeuplée n’est plus très agréable à vivre. Très peu de colons ont fait le grand saut, même si les lézards sont accueillants – on a fabriqué une belle maison de type terrien pour les Tremblay. Le jeune Jean aimerait retourner sur Terre, cependant : les efforts de sa mère Catherine pour acclimater la famille à son nouvel habitat et à leurs nouveaux compatriotes ne lui plaisent guère ; elle s’est transformée pour essayer de leur ressembler le plus possible, coupe de cheveux, vêtements… même sa personnalité semble avoir changé, devenant moins vive, moins fantasque, les lézards étant par nature des créatures lentes.
Et puis, il y a la nourriture ! Catherine a décidé qu’ils devaient manger comme les lézards ; mais le togard du souper est bien vivant et, pendant que Jean essaie de décider comment il va le découper, il s’enfuit de l’assiette ! Un peu inquiet des conséquences biologiques de cette fuite – comment se reproduisent ces bestioles, y aura-t-il une invasion ? –, il interroge Xède, un lézard devenu son ami à cause des délicieux biscuits bien terriens cuisinés par Jean. Catastrophe : les togards sont en effet prolifiques – et destructeurs. Mais Xède (qui est un scientifique) a une idée pour s’en débarrasser : un piège qui les fera tomber dans un trou de l’espace-temps.
Toutefois, quelque chose cloche : le piège devient plus grand, une forte vibration résonne, la terre tremble et… un arbre apparaît, un peu semblable au pommier qui pousse là, mais sans feuilles et à l’écorce noire : un être a profité du trou de l’espace-temps pour venir sur Tiäne, explique Xède, consterné, et cet être est conscient. Xède veut réparer sa gaffe : il va tenter de créer un autre trou, à distance, pour faire repartir l’intrus. Il ajuste sa machine et tombe dans une transe profonde. Heureusement, Catherine ne semble pas dérangée par l’apparition, qu’elle considère comme normale : flore non terrienne au comportement non terrien.
Le lendemain, Jean se rend à l’école des lézards, qui ne ressemble guère à une école terrienne : on commence la journée en absorbant l’énergie du soleil – on est des lézards, après tout ! –, puis tout le monde s’en va dans tous les sens, avec bruit, on travaille n’importe où à Jean ne sait pas trop quoi. Pas de professeur, mais un ordinateur central, nommé Belk, dépôt d’informations, et sur des étagères tout un tas d’instruments et matériaux divers. On y procède régulièrement à des lavages de cerveaux (avec cycle de rinçage), pour éviter que ceux-ci ne s’encroûtent trop dans des habitudes routinières de pensée et pour qu’ils demeurent capables d’idées nouvelles.
Après avoir failli servir de cobaye aux expériences de ses condisciples curieux des Terriens, Jean décide de travailler dans son coin. Il en profite pour interroger l’ordinateur : peut-être trouvera-t-il des explications sur l’arbre noir. En vain. En désespoir de cause, il va interroger un autre étudiant, Calv, un lézard vert (plus agressifs, ceux-là), qui s’intéresse plus spécialement à la botanique et la génétique. Il n’a pas de bons rapports avec lui : Calv lui a fait subir une de ses expériences sur l’apprentissage linguistique par hypnose – nécessaire pour les immigrants sur Tiäne : il y a de très nombreuses races de lézards, chacune avec sa langue. Cet apprentissage utilise des codes déclencheurs posthypnotiques, et Calv s’est servi d’un de ces codes pour manipuler Jean. Le lézard détient cependant l’information nécessaire : il connaît l’arbre en question et traduit son nom pour Jean, « Champicalv noir » : champignon de Calv, car c’est lui qui l’a découvert en étudiant des spores inconnues dans une météorite. Le petit champignon qu’il a fait pousser a l’intelligence d’un chat : pas de doute pour Jean, alors, l’arbre noir est bel et bien une créature consciente. Jean décide d’en faire son projet de fin d’année : il communiquera avec cet arbre !
C’est le jour du lavage de cerveau. Pendant le processus, Jean a une vision : deux hommes d’une autre race, qui préparent une sorte de soupe. Il les suit dans un ascenseur. Puis, au soleil, il aperçoit une chaîne de montagnes – et un énorme arbre noir ; les hommes arrosent le pied de l’arbre avec leur soupe. Ensuite, ils sont absorbés par l’arbre, sans se débattre. Jean discute de son expérience avec l’ordinateur ; il a eu l’impression qu’on lui transmettait un mode d’emploi et que c’était l’arbre qui communiquait ainsi avec lui.
Travaillant tard dans la nuit sur les documents transmis par son copain Bernard resté sur Terre – à propos de l’apprentissage linguistique hypnotique –, Jean entend du bruit dans la maison. Il voit des silhouettes, on parle à voix basse. Puis les intrus disparaissent. Une idée vient à Jean : Calv a dit que l’estomac de l’arbre tient beaucoup de place – assez pour contenir deux personnes. Les intrus ont été déplacés par le piège de Xède alors qu’ils étaient dans l’arbre. Mais il ne peut rien faire avant le jour. Et retourne se coucher.
Le lendemain, avec Calv, il entre dans l’estomac de l’arbre. Les estomacs : dans le second, ils trouvent toutes sortes d’objets hétéroclites ; les intrus seraient des voleurs ? Et l’arbre, leur véhicule, acquiesce Calv. Et on peut le diriger : ce qui ressemble à des racines intérieures est en fait un circuit électronique établissant un contact semi-télépathique. Jean se branche et… oui ! Il revient brièvement sur Terre – l’arbre a senti son désir de revenir. Il reprend conscience devant un Calv très inquiet, qui l’a vu tomber raide et le croyait mort. Ils ressortent de l’arbre. Toute cette expérience a cimenté leur amitié, même si Calv continue d’avoir parfois des comportements exaspérants. Ils rentrent chez Jean : horreur, Catherine a disparu, l’arbre aussi – et il y a du sang dans la cuisine.
Commentaires
Arrêtons là. On est à la page 105 d’un livre qui en compte 163 bien tassées. Oui, Jean et Calv retrouveront Catherine : elle a été enlevée par les occupants de l’arbre noir, une race de voleurs trans-spatiaux qui vivent sous terre sur leur planète, Bridaine. Captifs à leur tour, ils parviennent à s’évader, tout est bien qui finit bien. Finit ? L’épilogue est donné à Xède, sorti de sa transe et venu parler à Jean dans sa chambre à coucher et qui s’en va perplexe après la conversation : Jean n’était pas dans son lit puis soudain il y était, et « de son corps émanait une faible lueur qui a fini par s’éteindre ». À suivre ?
La quantité de péripéties de ce roman pour jeunes (j’en ai passé la moitié) est tout simplement ébouriffante. Et toutes plus burlesques les unes que les autres : on a l’impression d’avoir affaire à un conteur (un père dans la chambre de ses enfants ?) qui invente à mesure et jongle habilement avec ses inventions farfelues pour le plus grand plaisir de son jeune auditoire – non sans clins d’œil à des lecteurs plus adultes, à commencer par lui-même : la description de l’école en particulier, comme la désinvolture des explications scientifiques éparpillées dans l’intrigue, se lit aux deux niveaux.
Lamontagne s’amuse visiblement aussi avec la science-fiction, dans le registre « n’importe quoi, mais que ça se tienne ». Et ça se tient – si on se laisse emporter comme il se doit par la verve du conteur, les descriptions et les dialogues animés, la résilience sympathique de Jean transplanté dans l’exotique bizarroïde et les comportements plaisamment alien de Calv et des autres lézards. On peut aussi lire ce texte comme une fable de l’implantation européenne dans le Nouveau Monde, avec les aborigènes déconcertants mais plutôt bienveillants et l’acclimatation nécessaire quoique parfois problématique au nouvel environnement physique et social – dirais-je multiculturel ?
On connaît plutôt Michel Lamontagne comme auteur de nouvelles d’un fantastique très personnel, original, parfois déroutant mais toujours profond. Ce texte-ci se situe aux marges de sa veine originale-déroutante, là où elle bascule dans un humour à la limite de l’absurde, non sans rapport avec un certain surréalisme. Mais la profondeur est toujours là ; à un moment donné, Xède déclare à Jean : « S’il y a une chose que je déteste par-dessus tout, ce sont les choses simples ! » Il reproche aussi aux Terriens de toujours courir, alors qu’on n’atteint l’essentiel qu’en restant immobile, dit-il. Et l’exergue du roman (emprunté à l’une de mes nouvelles, mais que je dois citer) renvoie au Noir : « […] les Shingèn ont plus de trente mots pour décrire le noir, qui est pour eux la couleur la plus mystérieuse, la plus riche ». Or les habitants souterrains de la planète Bridaine sont des adorateurs du Noir, dont l’arbre surgi sur leur planète est pour eux la manifestation, leur assurant qu’ils sont une race élue. Le texte n’élabore guère sur cette religion – un roman pour jeunes n’en est pas le cadre adéquat – mais on a le sentiment que l’imaginaire de l’auteur aimerait peut-être suivre cette voie. Un autre « à suivre » ?
Il a tout de même tenu à inclure cette citation, dont le contraste avec le roman suscitera peut-être aussi des dérives imprévues dans l’imaginaire de certains jeunes lecteurs. [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1996, Alire, p. 112-115.
Références
- Dupuis, Simon, Lurelu, vol. 19, n˚ 2, p. 21.
- Martin, Christian, Temps Tôt 42, p. 51.
- Mercier, Claude, Proxima 2/3, 102.