À propos de cette édition

Éditeur
Pierre Tisseyre
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
306
Lieu
Montréal
Année de parution
1989
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Arnaud Capdevila rentre au Québec pour les funérailles de son père, Dominique Capdevila. L’avion qui le transporte d’Afrique est le lieu sanglant d’une attaque terroriste ; près de lui se tient Rébecca, créature lumineuse et transparente. Ayant survécu au massacre, Arnaud prend connaissance d’un manuscrit écrit par son père dans lequel ce dernier raconte sa révolte, la naissance d’un grand amour et sa métamorphose par le feu après une rencontre, aussi incroyable qu’étrange, qui a profondément marqué le père et le fils à plus de trente ans d’intervalle. Mais du Québec des années 50 au Québec d’aujourd’hui, même le visage de Dieu a changé.

Commentaires

Tiens, c’est bien la première fois qu’une quatrième de couverture four­nisse un résumé si fidèle qu’on puisse l’utiliser ici ! L’essentiel de L’Aube du temps qui vient est, en effet, contenu dans ces quelques lignes.

Roger Mondoloni n’est pas un nouveau venu. Ayant déjà à son actif trois romans et une pièce de théâtre, cet ancien journa­liste à la carrière bien remplie – comme en fait foi la courte biographie que nous incluons au début de cette recension – étonne pour qui le lit la première fois. Ce qui est mon cas.

Tout d’abord l’écriture. Les premières pages m’ont hérissé. La façon contournée d’exprimer l’idée, les descriptions synco­pées par des méta­phores météoriques, les dialogues aux sentences catégoriques, définitives, en un mot ce style vieillot et pédant qui fleurissait dans une certaine France littéraire de l’entre-deux-guerres m’a fait craindre le pire. Puis, au fil de la lecture, la présence remarquable des personnages aidant, les irritants se sont estompés, les dangereux rapides ont cédé la place au courant majes­tueux et dompté d’une rivière importante. Une fois apprivoisée, le plaisir de lecteur est revenu.

La difficulté de l’écriture de Mondoloni tient aussi à la densité d’infor­mation qu’elle contient. Ici, on est loin de la lecture de gare ou de plage. L’auteur a plusieurs messages à transmettre et chaque ligne sert son propos.

Parlons donc du contenu. Le roman possède une structure relativement simple. Il y a le présent, où le fils de Dominique Capdevilla, Arnaud, assiste aux obsèques de son père puis lit le manuscrit que celui-ci lui a laissé et dans lequel il raconte certains passages décisifs de sa vie. Le fils apprend donc comment son père, français d’origine, fut reçu dans ce Canada fran­çais encore dominé par la religion et quelles furent ses péripéties avec les représentants de cette dernière. Il vivra aussi la rencontre de son père avec Marie-France de Ruypert, sa mère, figure dominante de la France de l’époque, et les circonstances de sa naissance. Enfin son père relatera l’in­croyable expérience qu’il a vécue lors de la disparition d’Aube, cette étrange jeune fille envoyée de Dieu.

La lecture du manuscrit du père, qui représente le corps du roman, sera, au fil des pages, entrecoupée par le présent et la propre expérience troublante d’Arnaud, seul survivant d’un détournement d’avion par des terroristes. Ainsi, le présent venant magnifier le passé, un dessein plus général se dévoilera au lecteur, et cette volonté supérieure se voudra mystique : un nouveau tournant se prépare dans le destin de l’Homme.

L’Aube du temps qui vient est un roman enrichissant à plus d’un titre. Pour un lecteur qui n’a eu que peu d’écho de la situation journa­listique qui sévissait dans les années cinquante, l’auteur brosse un tableau éloquent de la mainmise de l’épiscopat sur le dire des intellectuels de l’époque. La censure était drastique et le « Père Ciseaux », gardien de l’or­thodoxie, présent dans plus d’une salle de rédaction. La religion tient en effet une grande place dans ce livre, sinon la première, à moins que la thèse mystique qui sous-tend l’intrigue n’en fasse partie d’une quelconque façon : l’idée d’antéchrist est présente dans la religion catholique, mais la fille de Dieu, sa messagère ? Les auteurs à la mode des années 70 et 80 nous ont habitués aux traitements fantastiques horrifiques des antéchrists. Mondoloni se démarque complètement pour adhérer plutôt à la tendance dite théologique de la présence de Dieu sur terre. Il en résulte une histoire où les effets spéciaux sont oblitérés pour laisser place à une réflexion plus profonde sur le sens de Dieu, sa place parmi les hommes et la place de ces derniers dans le projet de l’univers.

Autre point fort du roman de Mondoloni : les personnages. Autant Dominique Capdevilla que sa future femme, la comtesse de Ruypert, les deux personnages principaux de cette histoire – si on fait abstraction d’Aube et de Rébecca, les deux manifestations de la divinité – représentent des créations caractérielles fortement articulées et tout à fait crédibles. Ne se laissant pas prendre à l’introspection psychologique vide de sens, Mondoloni trace le portrait de deux personnages en prise sur leur devenir et, surtout, d’une profondeur de pensée peu commune. À travers leur histoire et leur rencontre, l’auteur leur prête des interrogations spirituelles qui vont plus loin que celles de leur époque et, surtout, des réponses nettement avant-gardistes. Cette richesse se reflète entre autres dans les dialogues, jamais gratuits, où le lecteur est confronté à des discours hautement philosophiques. Nous sommes loin de la banalité du quotidien miséreux et de la vacuité spirituelle avec ces deux entités. Même chose avec les personnages secondaires : tous ont des consciences au-dessus de la moyenne, qu’ils prônent l’orthodoxie de la pensée ou l’inverse. Le roman d’ailleurs ne met en scène que des personnages d’exception, hors du com­mun, sans toutefois tomber dans le travers de l’élitisme… ou si peu.

Malgré ces considérations, et peut-être aussi à cause d’elles, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise de lecture. Le traitement réservé à Aube et Rébecca demeure trop flou. Cette présence de Dieu qui influe sur le devenir de l’Homme apparaît superposée à la première démarche, plus historique, témoin fidèle d’une époque. Les rapports entre l’expérience du feu vécue par le père et celle du fils, plus pragmatique, ne convainquent pas. On a du mal à effectuer les rapprochements nécessaires, à comprendre le but ultime de ces aventures surnaturelles. L’auteur, à trop vouloir de­meurer derrière la signification, laisse le lecteur sur sa faim. Ce dernier, après avoir refermé le livre sur sa dernière ligne, ne peut s’empêcher de dire : Pourquoi ?

Les voies de Dieu sont impénétrables, j’en conviens, mais celles d’un auteur devraient être plus facilement interprétables. L’Aube du temps qui vient demeure cependant l’exemple éloquent d’un roman mystique réussi, où la thèse ne vient pas s’appesantir inutilement sur l’histoire, où les idées nouvelles ne viennent pas assommer continuellement le lecteur dans leur manque de subtilité.

Roger Mondoloni a réussi là où la majorité échoue, c’est l’essentiel de ma thèse. Il prouve hors de tout doute qu’il est possible de parler de spiri­tualité et de phénomènes occultes sans tomber dans l’imbécillité. Que les futures adeptes prennent exemple sur lui.  [JPw]

  • Source : L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 139-142.

Références

  • Gervais, Jean-Philippe, Solaris 89, p. 11.
  • Ouimet, Ariane, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec VIII, p. 51-52.