À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Dans un village près de Québec vivait un sacristain qui remplissait aussi le rôle de fossoyeur. Or, le père Nicolas était un homme morose, grincheux et ivrogne qui détestait voir du bonheur ou de la joie chez son prochain.
Le soir de la veille de Noël, l’homme décida de creuser une fosse au cimetière. En chemin, la vue d’une chaumière chambranlante d’où provenaient des rires et de riches fumets de dindes rôties le mit de mauvaise humeur, puis celle d’un groupe de petits garçons chantant des cantiques de Noël l’amena au paroxysme de la rage. S’approchant du maître chantre improvisé, Nicolas lui asséna un bon coup de pelle avant que la troupe ne déguerpisse.
Dans le cimetière, il commença son ouvrage avec force jurons parce que la terre était gelée. Le souvenir de la raclée administrée au petit chanteur lui redonna cependant du tonus. Il avait presque terminé son ouvrage quand un lutin lui apparut : « Que fais-tu ici la veille de Noël ? », « Qui boit du cognac, seul et dans l’enceinte du cimetière, par une nuit semblable ? »
Et voilà qu’il l’entraîne sous terre dans une grande caverne. Là, entouré de sa cour, le roi des lutins obligea le père Nicolas à regarder plusieurs scènes témoignant de l’amour, de la générosité et de l’abnégation des gens de ce pays. Après chaque séquence, pour que la leçon porte mieux, il lui bottait férocement le derrière, geste que tous les autres lutins de la cour s’empressaient alors de répéter. Ce n’est que lorsque le père Nicolas comprit que ce monde était somme toute respectable et décent que les lutins le laissèrent tranquille.
Changeant alors de vie, le père Nicolas disparut du village et les rumeurs à son sujet allèrent bon train jusqu’au retour, dix ans plus tard, d’un vieil homme déguenillé et perclus de rhumatismes, mais nettement meilleur, qui confirma son aventure et sa rencontre avec les lutins.
Commentaires
Il semble bien que « Les Aventures d’un fossoyeur » soit le seul conte fantastique connu d’Alphonse Guérette. Délaissant les figures surnaturelles qu’on se serait attendu à voir avec un titre pareil – diable ou revenants –, l’auteur opte plutôt, de façon surprenante, pour celle du lutin, personnage espiègle et sarcastique qui n’en manque jamais une lorsqu’il est temps de faire la leçon à tous les pisse-vinaigre du monde.
Construit de façon classique, le texte de Guérette se lit d’une traite. En prime, il offre de belles images – la description du lutin sur sa pierre tombale au clair de lune, la gorge du roi des lutins qui devient transparente lorsqu’il boit, la partie de la caverne du roi des lutins qui se comporte comme un écran tridimensionnel… Qui plus est, certaines scènes ne sont pas dénuées de force. Celle où le roi des lutins apparaît au fossoyeur dans le cimetière place habilement en parallèle un décor macabre à souhait et une situation des plus cocasses grâce aux ritournelles chantées par le chœur des lutins ; même procédé – et même résultat ! – dans l’antre des lutins où le père Nicolas contemple des horreurs, mais où le traitement que lui réservent les lutins ne peut que faire sourire.
Cependant, la fin de cette nouvelle est singulièrement décevante. Si Alphonse Guérette avait achevé son texte sur le départ du père Nicolas, tout aurait été parfait ; le retour du fossoyeur, dix ans plus tard, enlève beaucoup de magie à l’ensemble. [JPw]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 99-100.