À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Québec, 2023, après la Troisième Guerre mondiale. À peine une femme sur dix mille a conservé ses facultés de reproduction, et un « acte d’accusation globale » a été décrété à l’encontre des individus nés entre 1945 et 1960 (soit les boomers). À l’âge de quatre-vingts ans, ceux-ci ont le choix entre la chaise électrique à bas voltage (un supplice létal de quatre heures) et leur expulsion du « Grand Bagne », avec obligation de se débrouiller comme ils le pourront…
Commentaires
Avant de mourir prématurément en 2006, à cinquante-quatre ans, Gabrielle Gourdeau aura eu le temps de s’affirmer comme l’une des plumes québécoises les plus caustiques et acérées, ce qui se vérifie très certainement dans cette nouvelle de science-fiction, un genre peu habituel pour l’écrivaine accoutumée à la polémique.
La société du futur mise en scène ici, décrite succinctement, est plus totalitaire que démocratique. Les survivants de la « Grande Troisième », une hécatombe mondiale, doivent composer avec un environnement hostile, dont un air extérieur plus ou moins respirable, des épidémies, tel le très contagieux cancer du cœur, et une désorganisation sociopolitique généralisée, d’où des « Big Bagnes » souterrains qui tiennent lieu d’États. Et dans le « Grand Bagne québécois », dirigé par un jeune de vingt-deux ans, la génération de 1945-1960 est la proie de mesures nettement discriminatoires.
Sous couvert de SF, Gabrielle Gourdeau se livre en somme à une critique sans appel des boomers, sa propre génération. L’« Acte de condamnation globale » promulgué le 20 octobre 2022 couvre quatre pages et treize articles ; les crimes vont des promesses avortées de la Révolution tranquille jusqu’aux non moins avortés référendums du 20 mai 1980 et du 30 octobre 1995, en passant par l’individualisme et la surconsommation. L’éducation a aussi la part belle : les boomers sont entre autres accusés « [d]’avoir donné à leurs enfants une instruction de mollusques, abaissant graduellement les exigences scolaires jusqu’à la farce », et de les avoir nourris « d’une culture inepte, axée sur la violence, le sexe gratuit, les vedettes microcéphales, les richesses matérielles et l’aseptisation de la pensée ».
Sans nul doute nouvelle de science-fiction, ou d’anticipation, « Le Big Bagne » renferme, en condensé, les grandes préoccupations d’une auteure engagée. Le narrateur des faits, d’une lucidité imparable, est un homme de soixante-dix-huit ans soucieux de laisser des traces, dans un monde qui ne se soucie plus guère de mémoire. À la fois synthèse du Québec de la modernité et réflexion dépourvue de toute rectitude politique, « Le Big Bagne » est aussi tout à fait typique d’une écrivaine pour qui la littérature ne fut jamais simple divertissement, loin s’en faut. [FB]
- L'ASFFQ 1996, Alire, p. 97-98.