À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Sur le Monde, une autre planète, la Compagnie a posé partout des rails. À bord d’un des trains, dont la locomotive a la forme d’un buste de femme, se trouve un unique passager sans nom, dont l’esprit semble à la fois vacant et menacé. Des anges accompagnent parfois son train – créatures aériennes à écaille et à six doigts munis de quatre jointures. L’un d’eux demande à l’homme sans nom de lui raconter une histoire. Il s’exécute. C’est une histoire de vengeance, d’amour et de mort : un jeune homme a trahi la Compagnie en s’alliant aux indigènes de la planète, qui l’ont rendu immortel, mais la mort qui menaçait sa jeune femme l’a amené à se rendre à la Compagnie, qui lui a pardonné après avoir sauvé sa femme.
L’Ange raconte une histoire à son tour, apparemment la même vue du point de vue des indigènes – mais contrairement à celle de l’homme, elle finit mal : la Compagnie s’est vengée, mutilant mentalement l’homme qu’elle a mis en charge d’un train et sauvant sa femme en la transférant dans une « boîte de métal ». L’Ange s’en va, l’homme mal à l’aise s’empresse d’oublier, et le vent de la nuit hurle en s’engouffrant dans la bouche ouverte de la femme qui est la locomotive.
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Commentaires
On a peine à croire qu’un texte si court puisse être aussi riche de substance – c’est bien sûr dû en grande partie à l’habileté narrative que constituent les deux récits croisés encadrés par le récit principal : ils s’éclairent l’un l’autre sans coïncider totalement et, par leurs trous réciproques, construisent un troisième récit plus complet dans la tête du lecteur, invité à devenir conteur à son tour.
Quel chef-d'œuvre que ce texte ! Si le récit est un triomphe de l’ellipse, qui lui donne sa trajectoire épurée, fulgurante, l’atmosphère doit beaucoup à la litote : la langue est simple, voire naïve, et pourtant poétique, bouleversante par le refus même de l’émotion. Ce conte horrifiant et poignant des temps futurs n’en est pas moins impeccablement science-fictif – on peut traduire terme à terme les éléments de chacun des récits, du « manteau » que les bio-tisserands fabriquent à la planète en la terraformant, aux « ficelles des cellules de la femme », son ADN qui se défait et se fragmente après le rite d’immortalité, en passant par la « boîte de métal » du réseau neuronal où l’on a transféré l’esprit digitalisé de cette femme.
Mais Meynard réussit à rester presque intégralement dans le registre de la fable, et même le lecteur innocent de toute connaissance SF peut entrer dans l’histoire. On songe à Cordwainer Smith, lui aussi avare de techno-néologismes, lui aussi sensible aux échos profonds des mythes qui tissent des correspondances entre passé et futur… Avec ce texte, un de ceux qui lui ont valu le Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois en 1994 pour l’ensemble de ses nouvelles publiées en revue, une première dans le cadre de cette institution, Meynard confirme qu’il est sans conteste la voix la plus originale et, enfin arrivé à maturité, l’écrivain le plus prometteur de la nouvelle génération SF au Québec. [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 134-135.
Prix et mentions
Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois 1994