À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Dans une riche et populeuse paroisse, on peut apercevoir une superbe villa inhabitée érigée au fond d’une baie magnifique. D’après un patriarche, ce serait le repaire d’un revenant, probablement l’un des deux associés propriétaires qui, avant même la fin de la construction, avait disparu.
Il y a quelque temps, deux puissants Canadiens arrivant des chantiers de la Gatineau ont gagé avec le père Mathurin qu’ils pourraient passer la nuit dans la fameuse maison hantée. Bien installés de chaque côté d’une table près de la cheminée, les voici qui veillent alors que les gens du village les surveillent de loin. Dès que minuit s’annonce, les bruits de chaînes se font entendre et, l’un après l’autre, les deux colosses sont transportés hors de la maison par une présence invisible. Malgré leur peur, les deux Canadiens décident de refaire l’expérience le lendemain ; après tout, il y a cent piastres en jeu et leur réputation ! Mais quand minuit sonne, le même phénomène se reproduit et, cette fois, les deux téméraires sont expulsés violemment de la demeure.
Lorsque les villageois se décideront à brûler la bruyante villa, ils découvriront un cadavre enterré dans la cave…
Commentaires
La manière est classique, le propos convenu et le final sans surprise : voici, pourrait-on croire, une histoire de revenants qui respecte le modèle traditionnel voulant que l’élément fantastique serve à étayer un propos moralisateur ou, à tout le moins, édifiant. Pourtant, ce texte se distingue par une omission surprenante pour l’époque : à aucun moment, la dimension religieuse n’y est prise en considération. Mais voyons tout d’abord ce qui le fait ressembler au modèle traditionnel…
La structure est claire, sans fioritures. En ouverture, Rouleau pose son décor en soulignant le grand écart qui sépare ses incidences visuelles et émotionnelles. La villa et son entourage ne sont pas seulement un lieu plaisant, c’est « le séjour le plus gracieux et le plus poétique que l’on pût imaginer ; l’Éden ne devait pas avoir plus de charmes et plus d’attraits ». Mais de cet endroit charmant se dégage une terrible frayeur puisque « tous les paysans s’empressaient de fuir dès qu’ils apercevaient la tourelle qui dominait la grande porte d’entrée ».
Puis il fait intervenir la figure patriarcale – détentrice du savoir et de la sagesse – qui permet à l’action de démarrer. Car c’est par le vieil homme que nous apprenons l’aventure des deux Canadiens qui donne son nom à la nouvelle. Ici aussi, le superlatif et les extrêmes seront utilisés. Les personnages qui affronteront l’élément surnaturel ne sont pas de simples matamores du village, mais bien deux « hommes doués d’une force herculéenne, deux vrais Canadiens du temps passé, qui n’avaient jamais eu peur et qui ne craignaient rien ; ils s’étaient battus avec les raftmen les plus forts de tous les chantiers, et jamais ils n’avaient rencontré leur maître. Plusieurs fois même ils en étaient venus aux prises avec des feux follets, des revenants et le bonhomme Charlo lui-même – nom que les habitants de la campagne donnent généralement au diable ; et jamais ils n’avaient reçu une seule égratignure ». On le voit, l’auteur tient à ce que le lecteur ne s’y trompe pas : dans cette histoire, il n’aura pas droit à une simple anecdote, mais bien à un phénomène extraordinaire que même les plus forts n’ont pu mater !
Enfin, après l’incontournable mise en garde du vieillard au narrateur et à son ami, le lecteur apprendra, dans une sorte d’épilogue, que la maison a finalement été brûlée et que son secret a alors été découvert. Les dernières phrases du texte sont éloquentes : « En nivelant le terrain, ils firent des fouilles dans la cave et trouvèrent un cadavre. C’était l’Irlandais, il n’y a pas à en douter, qui s’était associé à l’Américain pour ériger cette superbe villa. L’apparition du revenant se trouve expliquée. » On aurait envie d’ajouter CQFD tant la démonstration se veut logique. Bref, ce revenant apparaît un peu comme un surnaturel poteau indicateur disant : Attention, un acte répréhensible a été commis ici à l’insu de tous.
Maintenant, parlons de ce qui n’est pas dans le texte, c’est-à-dire les implications religieuses. Il est intéressant de noter que l’un des associés est Américain et l’autre, Irlandais. De là à croire qu’ils sont protestants, il n’y a qu’un pas… que Rouleau ne franchira jamais. Par ailleurs, l’auteur ne mentionne pas non plus si, une fois le cadavre retrouvé, les paroissiens – et le curé – lui ont donné une sépulture chrétienne. Or, très souvent, le revenant manifestait sa présence justement pour obtenir ce lieu de résidence consacré. Ici, aucune mention d’un tel détail. Au contraire, Rouleau prend la peine de démontrer dans son final que l’apparition du revenant n’était que la conséquence du secret entourant l’emplacement de l’assassinat et du cadavre.
Quant à la morale de l’histoire, elle n’est, encore là, aucunement religieuse, mais plutôt juridique. Non seulement le crime ne paie pas – Rouleau prend bien soin de dire que l’Américain n’a jamais habité la villa, et n’a donc jamais profité de son crime ! –, mais si la justice humaine n’arrive pas à prouver et à punir un acte répréhensible, le surnaturel s’en chargera. Voilà une façon très cartésienne de s’assurer une justice qui transcendera toujours le bon vieux tribunal ! [JPw]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 169-171.