À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Entendant chez lui de petits bruits insolites qui se multiplient de jour en jour jusqu’à l’empêcher de dormir, un homme acquiert peu à peu la conviction que les meubles, les objets, les choses, les maisons, sont doués d’une vie propre et n’ont pas l’inertie que l’humain, dans sa grande naïveté, leur a toujours prêtée.
Commentaires
Louis Vax a déjà écrit que « l’art fantastique idéal sait se maintenir dans l’indécision ». Si l’on adopte cette façon de voir les choses, la nouvelle de Claude Robitaille atteint l’idéal puisque l’ambiguïté y est maintenue jusqu’à la fin, ce qui veut dire aussi au-delà. En effet, une fois la nouvelle lue, l’incertitude demeure : le personnage a-t-il des hallucinations auditives, s’enfonce-t-il de plus en plus profondément dans un délire ou a-t-il raison quand il affirme que les objets, les choses, la maison dont il est locataire, sont doués de vie ? Impossible de décider, d’autant plus que le texte possède un petit côté inachevé, avec ces phrases de clôture qui ne viennent rien dénouer : « Or, moi je sais bien que si la maison persiste, comme la nuit passée, à coupailler de ses mille craquements mon sommeil, je la démonterai pièce par pièce. (D’ailleurs, toutes les portes intérieures ont été entassées hier dans la chambre du fond. Le propriétaire a refusé de les huiler.) Mais, qu’est-ce que j’entends encore ?… ».
En plus de ne rien conclure, cette fin laisse planer un certain suspense, dû en grande partie aux points de suspension placés en bout de texte. Il y a aussi des moments de suspense au cours de la nouvelle, habilement ménagés, encore une fois, par des points de suspension placés à des endroits stratégiques. Toutefois, ce n’est pas tant le suspense qui caractérise le texte de Robitaille que son côté plus réflexif. En effet, une très grande partie de la nouvelle est occupée par des réflexions du personnage sur l’univers faussement inerte des choses, sur la vaste duperie dans laquelle est embarquée l’humanité, sur le fait que l’expression « la maison travaille » a été inventée par des hommes qui avaient besoin d’être rassurés sur les bruits étranges qu’ils entendent, la nuit, dans leur maison. Ce côté inquiétant des objets, des maisons, est d’ailleurs évoqué dès le premier paragraphe de la nouvelle quand, pour parler de l’endroit où il habite, le personnage, qui est aussi le narrateur, utilise une personnification : « La maison est si déserte, si étrange avec ses pièces qui haussent leurs larges épaules jusqu’au plafond ». Cette figure de style donne, dès le départ, un indice sur la façon dont le protagoniste perçoit la maison : comme un être animé et menaçant. Cette hypothèse se voit confirmée à la lecture de la nouvelle, preuve que Claude Robitaille n’a rien laissé au hasard.
Il ne faudrait cependant pas croire que la nouvelle est sombre et sinistre. Le personnage a une façon d’exprimer les choses qui fait sourire le lecteur et on retrouve une certaine dose d’humour dans les moments qu’il passe avec le propriétaire de la maison dont il est locataire. En effet, le propriétaire ne veut rien croire de ce que le protagoniste lui dit, le pense un peu fou, veut porter plainte… Toutefois, il faut reconnaître que sous cet humour se cache une tragédie, dans le sens où le protagoniste est seul avec un mystère qui fait partie intégrante de sa vie, mais qu’il ne peut, et ne pourra jamais, énoncer qu’à lui-même. [SN]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 153-154.