À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Les Léveillé, une famille ordinaire et sans prétention de Sainte-Anne-des-Plaines, vivent simplement, tout près d’une petite rivière paradisiaque constituant l’une de leurs seules richesses. Dans leur chaumière, il y a : un grand-père champion de bras-de-fer nommé Charlemagne Laframboise ; le plus jeune fils de la famille, glouton comme pas un, que l’on surnomme gentiment Pierrot ; des jumelles, soit Isabelle, une adepte de la musique rêvant d’un somptueux piano, puis Caroline, future écrivaine parce que très créative et intriguée par les innombrables possibilités de l’esprit. Au centre du noyau familial, Georges et Marie-Jeanne, parents de cette joyeuse marmaille, sont respectivement peintre et ex-chanteuse – de même qu’infidèle et jalouse – professionnels.
Des épreuves variées commencent subitement à compliquer leur vie. Certains font d’affreux cauchemars, d’autres subissent les affres d’orages brefs et violents centrés spécifiquement sur eux, les baignades des jeunes filles sont interrompues par toutes sortes d’esclandres risqués perpétrés par des inconnus. On découvre même qu’un meurtre a été commis dans un boisé des parages, près de vingt-quatre ans plus tôt. Surviennent, de plus, des phénomènes inexplicables tels que l’apparition de pouvoirs de télépathie entre les jumelles, des preuves de retard ou de l’avancement rapide du temps, imputés, selon le cas, aux extraterrestres, au pur hasard ou à l’astrologie.
Étrangement ou commodément, selon l’explication que chacun des membres de la famille tentera d’élaborer, tout cela survient peu après l’arrivée dans la région d’une famille inconnue, celle des Morissette, dont les jumeaux ne sont ni équilibrés ni sympathiques.
Commentaires
À voir les traits spécifiques de chacun des personnages présentés dans le résumé qui précède, dont le grand-père Laframboise, haut en couleur, on pourrait croire que toute cette faune affable saurait constituer un univers frivole et dépaysant – à la Fred Pellerin, peut-être, penserait-on de nos jours. Ésimésac, dès 1995, te voilà ? – non. Pas tout à fait.
Pourtant, les caractères de même que la psychologie générale des personnages sont assez sommaires, voire carrément caricaturaux dans ce roman. À chaque événement impromptu, la panique des personnages atteint son point culminant en quelques secondes. Ceux-ci agissent et réagissent de manière plutôt immature (même les grands !). Quand le grand-père anéanti annonce à sa fille le décès d’un vieil ami dans un incendie tandis qu’il vient d’en être témoin, celle-ci lui répond de se consoler, que ce n’est pas si grave, car ce serait bien pire encore si elle-même était morte « dans d’autres circonstances ». D’abord, on ne saisit pas très bien ce qu’elle veut dire ; ensuite, rien ne nous laissait attendre une telle réplique venant de cette femme effacée, certes, mais qui semblait jusque-là s’occuper adéquatement de sa famille et ressentir une empathie normale pour les autres. On a donc l’impression d’assister à la maladresse d’un auteur ne sachant pas trop quoi faire dire à son personnage dans de telles circonstances. Celui-ci se permet de comparer de drôles d’éléments, détruisant au fur et à mesure ce qui aurait pu construire ou préserver une certaine tension dramatique liée à la mort, qui est l’un des thèmes de prédilection de l’ouvrage.
C’est surtout à un récit de fantastique sombre ou d’horreur bien assumé que nous conviait le titre dramatique de l’histoire, « C » comme dans… cauchemar. Or de ce côté, le récit ne tient malheureusement pas ses promesses. Il lui manque, pour réussir son effet, deux ingrédients fins auxquels on ne pense qu’en leur absence. Ce sont « logique » et « cohérence ».
La structure du roman est sans contredit déficiente. Le narrateur nous envoie sur toutes sortes de pistes, dans absolument tous les sens. Malgré leur banalité, les scènes de baignade des jumelles à la rivière occupent presque le premier rang dans l’histoire. C’est toutefois là que les deux jeunes filles découvrent que l’une a un certain pouvoir de réception télépathique, et que l’autre arrive à émettre des messages à son attention. On fait grand cas de leur nudité ainsi que de la disparition de leurs vêtements posés sur un rocher. Or le grand-père, en ce temps-là, fait la découverte d’une boîte de métal et convie sans hésitation son petit-fils Pierrot à une chasse aux trésors, à l’issue de laquelle ils découvriront plutôt un squelette. On nous mène alors sur la piste d’un violeur et tueur de petites filles, et le grand-père fera seul la connaissance du fantôme de la fillette… ressuscitée, qu’il ira tout bonnement reconduire chez ses parents après l’avoir présentée à tout le monde à la ronde. Par la suite, on n’entendra plus parler ni du tueur en série, ni du retour inopiné de la petite fille chez ses vieux parents éblouis.
Tout le récit répond à cette absence de construction sous-jacente et à ces coïncidences qui ne réussissent qu’à perdre le lecteur. Les jumelles auront maille à partir avec de méchants jumeaux qui tenteront de les assassiner à coups de pierres lancées dans la rivière, plus loin dans l’histoire, et bien sûr Georges, le mari volage et père des filles, se trouvait être le père de ces deux orphelins traumatisés également, ce que prouve, comme le veut l’immanquable cliché, une petite tache de naissance commune qu’ils ont sur l’avant-bras. Qu’à cela ne tienne, on a agacé le lecteur tout le long avec une possible intervention extraterrestre qui appuierait les phénomènes irrationnels, ce qui se confirmera à la fin du roman, alors que les voyageurs interplanétaires sauveront les jumelles en chassant leurs rivaux à grand renfort de rayons « désintégrants » et de chocs électriques non mortels.
Mais comme quoi il ne faut jamais se fier aux étrangers, ils enlèveront toutefois finalement Caroline, dont les pouvoirs, sans doute, les intéressaient, puis pétrifieront et tueront son petit frère Pierrot (glouton, oui, mais bien moins méchant que les autres gamins de l’histoire qui, eux, ont survécu). À la fin, une quantité effroyable de questions demeurent sans réponses. On aurait beau lire et relire l’histoire en entier, on ne comprendrait pas pourquoi les choses tournent ainsi.
Pour finir, au strict point de vue stylistique, ce roman comporte aussi son lot de déceptions. L’écriture est partout assez laborieuse. La présence de nombreux « ! » dans la narration à des moments tragiques où un certain sérieux aurait eu sa place contribue à ce que le lecteur ne soit aucunement ému par ce qui arrive. On trouve des répétitions de vocabulaire dérangeantes, le ton du récit s’approche à l’occasion de celui d’une dissertation critique, avec des marqueurs de relation tels que « dans un autre ordre d’idées ». On note la présence de beaucoup d’éléments d’ordre scatologique racontés et nommés dans le moindre détail, comme pour le plaisir d’employer des termes vulgaires et de produire à l’esprit du lecteur une panoplie d’images dégoûtantes de Pierrot malade, qui d’ailleurs ne servent en rien l’histoire.
Bref, pas de maîtrise des mots au-dessus de la moyenne remarquée (nous pensons notamment à l’emploi de « renchérit-elle » alors qu’il s’agit de la toute première réplique d’un dialogue), ce qui, chez un auteur, est assez alarmant. C’est bien navrés que nous en arrivons à cette conclusion, mais on nous a ici lancé une ébauche de premier roman à la figure. [MEL]
- Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 89-91.