À propos de cette édition

Résumé/Sommaire
Faire partie de la Magna Carta, les porteurs de cartes de crédit, est un privilège difficile à obtenir. Il faut lécher bien des bottes pour être admis en ses rangs. Au début, on vous en donne une bleue, et ce n’est qu’après des dizaines d’années de loyaux services, de paiements réguliers et de courbettes au parlement que vous recevez votre carte blanche. Puis c’est encore le même manège, mais en plus ardu, pour avoir la rouge, celle des dirigeants du parti. Mais n’oubliez jamais qu’un seul défaut de paiement et vous redevenez un esclave sans crédit, comme cette pauvre serveuse ou ces gladiateurs qui s’entretuent pour votre bon plaisir sous vos yeux !
Commentaires
On dit souvent en littérature qu’avoir une bonne idée est une chose, mais qu’écrire une bonne histoire en est une autre. Voilà exactement le sentiment qui vient à l’esprit après avoir lu cette nouvelle de Gérald Charbonneau. Certes, l’univers que nous présente l’auteur est intéressant : un futur pas si lointain où le pouvoir, et surtout la liberté de l’individu, passe par la possession d’une carte de crédit et la capacité à en payer les mensualités. Si cette critique du néocapitalisme et cette préoccupation quant à l’esclavage dans lequel est tenu le consommateur étaient toutes neuves quand a été écrite cette nouvelle en 1971, la thématique demeure toujours d’actualité des décennies plus tard, et force est de constater que Charbonneau n’était pas paranoïaque et anticipait bien la menace.
Or, ce qui manque dans ce beau décor, c’est une histoire. On peut comprendre que l’auteur ait délibérément choisi de ne pas révéler l’identité de son personnage, outre son numéro de carte de crédit, pour que le lecteur saisisse l’impersonnalité du système érigé en culte du capitalisme, mais on aimerait quand même qu’il lui arrive quelque chose, à ce pauvre bougre. Ne le connaissant pas, n’ayant à peu près aucun accès à sa psychologie, on ne peut même pas le plaindre ou le détester. Heureusement qu’au milieu de toute cette inaction, il ressort quelques perles, au sens littéraire du terme, comme : « Il est vrai que la parole sert à couvrir bien souvent la décrépitude du temps », ou encore « la liberté […] ne peut être maniée qu’avec précaution, par des gens entraînés », qui nous font sourire et nous empêchent de bâiller d’ennui.
Bref, cette nouvelle est comme une belle maison richement meublée, mais où il ne se passe jamais rien parce que l’unique et taciturne occupant est ennuyant. On voudrait l’évincer pour y installer des personnages plus vivants, plus colorés et à qui, au moins, il arriverait quelques péripéties, aussi simples que casser une assiette ou aussi spectaculaires que défoncer un mur. [PT]