À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un homme reçoit des cartes postales de sa bien-aimée Isabelle qui voyage au loin. Un soir, alors qu’il revient du travail, il trouve son appartement envahi de pigeons. Quelques jours plus tard, des gitans ont pris possession des lieux. Comment est-ce possible ? L’homme comprend que certaines cartes postales se sont matérialisées. Il devient de plus en plus anxieux, attendant que la danseuse sacrée de l’Inde, représentée sur le plus récent envoi, lui rende visite. Mais rien. Plus rien. Les cartes continuent pourtant d’arriver. Dévoré par l’attente, il écrit à Isabelle, la pressant de ne plus rien envoyer. On retrouve le cadavre de cet homme. Dans la poche de sa veste, une longue lettre inachevée aux côtés d’une carte postale représentant un javelot empoisonné.
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Voilà l’une des idées les plus originales qu’ait imaginées Roch Carrier depuis la parution de Jolis Deuils en 1964. Un personnage plutôt routinier et pantouflard est confronté à des événements qui bousculent l’ordre de son quotidien. Mais ce n’est pas tant le phénomène inexplicable qui trouble l’homme comme le fait de voir surgir en lui des émotions incontrôlables : le désir, la culpabilité, l’impatience… Les cartes postales exercent une totale emprise sur lui. Celle de la bayadère surtout, « dont chacun des voiles était trop fragile pour ne pas devoir bientôt tomber ». La fascination tourne à l’obsession. C’est par la lettre destinée à Isabelle que nous prenons connaissance de toute l’histoire (presque toute puisque le dénouement – une chute brève et percutante – relève d’un autre narrateur, l’inspecteur).
Dès le début de la lettre, nous sommes plongés dans l’urgence. Le narrateur est près de succomber à ses peurs : « Je m’embrouille. […] Je t’en implore sans détour : ne m’écris plus. […] Ma situation est grave. […] Tes cartes postales me pousseront au suicide. » Les phrases, tantôt répétitives, tantôt entrecoupées de silences, traduisent bien la perte de contrôle de l’homme. Mais lorsqu’il se met à raconter le fil des événements, le ton change. Comme si le personnage devenait plus soucieux de son rôle de narrateur que de sa situation problématique. Les descriptions détaillées et les réflexions révèlent en effet une capacité de jugement et de distanciation qui tranche avec le ton du début (« Tu connais ma manie de croire toujours que je ne suis pas concerné » ; « Tu sais quelle horloge soignée et détestable est ma vie » ; « Tu sais, la force est une astuce des faibles » ; « L’homme a assez de raisons d’être malheureux sans se montrer en plus pessimiste »). Un homme angoissé prendrait-il ainsi le temps de philosopher ?
Mais Roch Carrier aime l’humour et l’ironie. Si bien que le plaisir de l’invention l’emporte sur l’émotion (l’angoisse est rarement contagieuse chez lui). Dans ce conte-ci, l’auteur fait du lecteur son heureux complice. L’allusion au tarot, par exemple, est un indice quant au dénouement de l’histoire. L’homme étale les cartes postales devant lui, cherche à comprendre ce qui lui arrivera. Isabelle a écrit que « tout meurt, même la pensée » et que, dans certains pays, le soleil est symbole de mort… Et puis, le fait que l’état de la victime se détériore à cause d’une danseuse imaginaire laisse songeur. Après tout, Isabelle a peut-être sciemment envoyé cette carte de la bayadère, histoire de mettre à l’épreuve l’homme qu’elle aime. L’envoi de l’ultime carte postale suggère qu’elle aurait pressenti le contenu de la lettre qu’elle n’a pourtant jamais reçue. À moins qu’il ne s’agisse de pures coïncidences… [RP]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 26-28.