À propos de cette édition

Éditeur
H. Berthelot & cie
Genre
Fantastique
Longueur
Feuilleton
Paru dans
Le Canard, vol. III, n˚ 39
Pagination
1-2
Lieu
Montréal
Date de parution
26 juin 1880

Résumé/Sommaire

Avant l’arrivée des Européens, Satan régnait en maître absolu sur le continent nord-américain. Ayant réuni ses fidèles disciples sur le mont Saint-Hilaire, il leur confie qu’il craint la venue des étrangers qui vont propager la foi du Christ, le fils de son ennemi éternel.

Non loin de là, une robe noire tente de convertir quatre chefs iroquois au christianisme. Ceux-ci réclament du missionnaire un miracle pour prouver la toute-puissance de son dieu.

5 août 1689. Le village de Lachine est attaqué par les Iroquois. Arthur et Alfred, deux amis intrépides et courageux, combattent vaillamment les Peaux-Rouges mais ne peuvent empêcher le massacre de la mère et de la sœur d’Alfred. De plus, la fiancée d’Arthur, Flore, est enlevée par les sauvages. Les deux jeunes hommes se dirigent en canot vers l’île Perrot où ils espèrent tendre une embuscade aux Iroquois et délivrer Flore.

Commentaires

Dès les premières lignes, dans ce qui tient lieu de prologue, l’auteur, qui signe Le Chat, annonce les couleurs de son projet littéraire. Il se propose d’écrire un texte de fiction où la seule règle est l’imagination : « Je ne suivrai pas la méthode des maîtres de l’art. Le caprice de la folle du logis, seul, sera l’art, le maître et le guide. » Et il conclut, toujours sur le même ton familier et un brin fanfaron : « Je préviens le lecteur que, quelqu’imagination qu’il ait, il ne devinera jamais le dénouement de la Caverne du diable. » Il avait hélas raison, car son feuilleton n’a pas de fin ! Après six livraisons, sa parution est suspendue indéfiniment. Se pourrait-il que l’auteur ait été congédié par Le Canard ? Sa signature apparaissait ailleurs dans les numéros 34 à 39 mais on ne la voit plus à compter du numéro 40…

Il est frustrant de ne pas connaître le dénouement de ce feuilleton écrit dans le style de Dumas, Dick, Sue et compagnie. Peut-être que les nombreuses ruptures temporelles auraient-elles alors une explication. Dans l’état actuel du texte, on se demande où l’auteur veut en venir. En fait, on le devine très bien : les diverses séquences et les qualificatifs utilisés visent à associer dans l’esprit du lecteur les troupes d’anges déchus de Satan et les vilains Peaux-Rouges. Le conflit entre les bons habitants de la colonie et les Iroquois semble, aux yeux de l’auteur, reproduire sur terre la lutte éternelle entre Dieu et le diable.

Mais que d’incohérences dans ce récit ! Chagnon ne semble avoir aucune notion de la narration et du temps romanesque. D’un narrateur omniscient qui décrit la scène où Satan harangue ses troupes et qui relate la tentative de conversion du missionnaire, on passe à un narrateur témoin du nom de José qui raconte une anecdote survenue quarante ans plus tôt, soit vers les années 1840. Son récit est interrompu jusqu’à la livraison suivante, celle du 12 juin 1880. Or, plutôt que de poursuivre le récit de José, le feuilleton nous transporte le 5 août 1689, date historique du massacre de Lachine. Après une longue description des combats, en route vers l’île Perrot, Arthur raconte à son ami Alfred l’histoire de l’île aux Démons, à l’embouchure de la rivière Saint-Paul (ou rivière aux Saumons), qui serait devenue le repaire de Satan. Est-ce à dire qu’il aurait été délogé du mont Saint-Hilaire ? Ah bon !

Le texte fourmille de raccourcis, d’approximations et d’invraisemblances de la sorte. Dans l’histoire racontée par le vieux José, le coureur des bois et deux compagnons amérindiens chassent sur le mont Saint-Hilaire. Ils se rendent à la caverne du diable. José suspend un poids de 156 livres à une corde pour sonder la profondeur de la caverne. Le groupe avait donc à portée de la main un poids de 156 livres ? L’a-t-il pesé ? Et un câble de trois cents brasses (environ 1500 pieds) ?! Oui, nous sommes vraiment dans un feuilleton !

Le ton mélodramatique, les caractères typés et excessifs (« Arthur plonge et replonge avec délices son poignard dans le cœur du sauvage ») et les invraisemblances sont le lot du genre feuilletonesque. C’est à prendre ou à laisser. Ce qui exaspère davantage, c’est l’absence d’une trame narrative cohérente, c’est l’improvisation qui imprime au récit un parcours à hue et à dia. [CJ]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 49-50.