À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un Narcisse particulièrement narcissique effectue sa toilette et se remet en question l’espace d’un instant. Soudain, son ombre, qui se rasait avec fébrilité, porte ses mains à son cou et se coupe la gorge. Narcisse perdra son double. En préparant la réception qu’il donnera le soir même, il s’inquiète de ce que les gens penseront d’un sans-ombre.
Lorsque ses invités arrivent, Narcisse acquiert la certitude que tout le monde l’observe ; il joue donc de l’éclairage afin qu’on ne le remarque pas trop. Tandis que ses invités s’amusent, il se préoccupe de l’ombre des autres invités qui lui semblent suspecte ; ces dernières tiennent un conciliabule. Narcisse se dit alors qu’il est victime d’hallucinations, tout simplement. Puis, un point noir sort du mur, devient une tache. Cette chose qui le terrifie est sa reproduction, le spectre de son ombre, son double trépassé qu’il aurait tué par vanité !
Commentaires
Cette nouvelle de Claude Bolduc met en scène un Narcisse revisité qui, cette fois-ci, est particulièrement conscient de son reflet et de la beauté de son corps. Mais son ombre, qui lui permettait d’assister en direct à ses propres exploits et qui lui servait donc de miroir, tout à coup atteinte du syndrome de la main étrangère, disparaît en créant un vide autour de lui. En fait, le personnage, qui se sent agressé et persécuté, est atteint d’hallucinose, c’est-à-dire qu’il est bel et bien conscient du caractère anormal de ce qui lui arrive. Pour ce, la clé nous est d’emblée donnée : il s’agit d’un trip de cocaïne. D’ailleurs, un bruit, « shshshshsh », semblable à celui d’un serpent, ouvre judicieusement la nouvelle. Mais ce n’est que plus tard, lorsqu’Archimède lui offre une ligne, que l’on se rappelle que Narcisse s’était servi bien avant. On se demande donc, l’espace d’un instant, pourquoi tout nous est mâché si facilement. Puis, on se rend compte que ce n’est pas l’alternance entre rêve et réalité qui nous occupe, mais plutôt ce que perçoit le « rêveur », ici un halluciné, comme étant le rêve – c’est-à-dire ses hallucinations – et la réalité, qui est aussi hallucination.
Pour tout dire, il s’agit ni plus ni moins que d’une actualisation des possibilités qu’offre le fantastique à la modernité ou, pour l’énoncer autrement, d’un renouvellement et d’une transposition plus actuelle d’un thème très ancien : l’état second. En fait, peu importe ce qui déclenche ce dernier, pourvu que le fantastique advienne. Ainsi pouvons-nous avancer, sans risque de nous tromper, que « Celui qui finit dans l’ombre », pour moderne que soit son thème, ne se distancie pas tellement d’une certaine tradition narrative. Conséquemment, dans cette nouvelle, le surnaturel est un corollaire de l’événement fantastique. Cependant, n’oublions pas que Narcisse est toujours, à sa façon, capable de discerner ce qui lui arrive. Peut-être qu’à la perte de son double puise-t-il dans le matériel inconscient de ce dernier ; pourtant, il ne perçoit pas l’Autre comme étant complètement autre, comme c’est souvent le cas dans d’autres récits fantastiques. Enfin, on remarquera que cette nouvelle ouvre la porte à une étude psychologique plus approfondie. À cet effet, parmi moult possibilités, on ne relèvera que deux thèmes : celui de l’étranglement qui peut aussi représenter un certain empêchement de s’exprimer, et celui du sans-ombre, c’est-à-dire la mort. Sans oublier les nombreuses variantes qu’offre le thème du spectre de l’ombre d’un certain Narcisse, halluciné de surcroît…
Il y a beaucoup de longueurs dans ce texte de Bolduc, surtout dans la partie « réception ». Mais par ailleurs, n’est-ce pas le propre de cet auteur de créer une atmosphère – souvent bien plus qu’une histoire – en étirant la sauce ? C’est fou à souhait et on rit beaucoup, par exemple lorsque la Chose devient libidineuse au passage. Aussi, les termes propres au fantastique sont souvent utilisés de façon humoristique : « Narcisse franchissait les limites de Charlotte » ou encore, lorsqu’il est question du « craquement » des canapés servis aux invités. Mais il y a aussi certaines blagues cucul et quelques jeux de mots malencontreux tels « avides de mots vides ». Enfin, la dénomination des personnages aux prénoms hellénistiques ou macédoniens, juxtaposés à des patronymes québécois pour donner un Alexandre Legrand-Larousse, chef de la Rédaction, ou un Archimède Lavoie, chef du Design, est un procédé un peu puéril. Quoi qu’il en soit, le spectre de l’ombre du personnage fait des siennes en un jeu de miroirs bien construit et on s’amuse. À lire. [MN]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 28-30.