À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Rachel Varga administre la Station A, en orbite autour de la colonie Uma II, à environ vingt années-lumière de la Terre. Elle accueille les colons et le cargo qui arrivent de la Terre surpeuplée. En dépit du terrorisme qui commence à endeuiller Uma II et du manque de matériel, elle parvient à tout faire fonctionner sans anicroche jusqu’à l’arrivée à l’improviste de vingt-quatre cargos géants. En faisant le trajet pour entamer un dialogue avec le dirigeant des occupants de ces cargos, Rachel découvre qu’une secte chrétienne intégriste a bourré les cargos de passagers pour quitter la Terre et venir sur Uma II.
Cependant, un croiseur militaire envoyé de la Terre rejoint le cargo Notre-Dame et les choses s’enveniment entre l’archevêque et les militaires terriens. Rachel et ses équipiers ont tout juste le temps de prendre la fuite avant qu’un duel au canon quantique s’engage entre le croiseur et les cargos bien armés. Finalement, le croiseur est détruit, mais les dommages causés aux cargos sont graves. Rachel et les habitants d’Uma II se chargent de réparer les pots cassés afin de continuer à bâtir leur monde, « après la catastrophe, après les mots, après les espérances et les illusions ».
Commentaires
Fort peu d’écrivains de SF au Canada francophone œuvrent dans la veine choisie par Stéphane Langlois, et on se prend à rêver aux livres qu’il pourrait nous écrire s’il le voulait. Thématiquement, c’est le texte le plus riche qu’il nous a donné à lire jusqu’ici. Comme d’habitude chez Langlois, le cadre technoscientifique est décrit avec soin et avec compétence. En dépit de l’ambiguïté qui flotte sur la nature des élévateurs entre Uma II et la Station A, les autres éléments techniques sont incorporés sans heurt à l’intrigue principale : vitesses ultrarelativistes, délai des messages transmis par voie hertzienne, mal de l’espace, gravité créée par accélération centrifuge… Les personnages se définissent surtout par leurs gestes, mais cela n’exclut pas des moments d’introspection ou de lucidité.
Langlois présente l’aventure d’une administratrice confrontée à un problème dépassant ses compétences habituelles. Rachel a beau réagir raisonnablement à chaque fois que la situation se complique, elle ne peut pas grand-chose face à l’intransigeance et à la folie des hommes. Cependant, ce n’est pas la puissance de l’irrationnel qui semble constituer le propos de l’histoire. Ce serait plutôt le courage nécessaire pour vivre au quotidien et pour le construire.
Ce thème est illustré par trois antithèses. Ainsi, la nouvelle compare d’abord les colons d’Uma II et les radicaux démocrates qui veulent détruire tout « ce qui avait pris vingt-cinq ans à bâtir ». Ensuite, la nouvelle oppose en partie un premier arrivage normal de colons qui ont eu le courage d’aller faire leur vie ailleurs et l’intrusion des dissidents religieux qui bafouent allégrement toutes les règles de sécurité. Enfin, même ces réfugiés intégristes et sexistes méritent une certaine estime par rapport aux militaires jusqu’au-boutistes dont les objectifs sont essentiellement négatifs. Il y a des échos de l’histoire de ce pays dans la détermination de Rachel à se construire une patrie malgré tout, sans négliger l’apport de quiconque.
L’éthique en action est un sujet tout à fait approprié à la science-fiction, qui permet d’imaginer des situations sortant de l’ordinaire. L’auteur de cette nouvelle y met beaucoup de choses en peu de pages, inventant un monde cohérent et explorant quelques-unes des possibilités inhérentes à la colonisation interstellaire. J’attends avec intérêt son prochain texte. [JLT]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 114-115.