À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
À quarante ans, Hébert LaMarche, maire de la Métropole, renonce à la gloire et va s’établir sur une île polynésienne. Il est accueilli avec ferveur par les indigènes car son visage ressemble aux traits sculptés par la nature dans une falaise de l’île. LaMarche y élit domicile et vit là quarante années. Mais avec l’âge, il devient ombrageux. À la suite d’une colère futile contre les indigènes à propos de tablettes en terre cuite, douze d’entre eux décident de l’éliminer.
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Complication inutile de la phrase ou pillage du dictionnaire synonymique pour “faire littéraire”, ce qui est défaut chez quelques écrivains québécois et beaucoup de candidats écrivains, devient talent sous la maîtrise d’un André Carpentier. Voici, surtout dans les paragraphes d’introduction, une écriture maniérée, parfois empruntée, évoquant les rapports qu’un gouverneur pouvait écrire à Louis XVI. Des phrases approchant un mètre de long, des subordonnées en cascade, un penchant immodéré pour la double négation… Et surtout le goût du mot recherché, celui qui accrochera l’attention du lecteur en remplaçant le mot convenu : excédant le mot juste, c’est le mot qui n’est plus tout à fait juste, mais délibérément, non par erreur ou par ignorance ; c’est le mot précieux aux deux sens du terme.
L’écriture de Carpentier est élégante et séduisante malgré, ou plutôt grâce à ce maniérisme et ces tarabiscots. Le charme opère, le charme d’une grammaire faite littérature. Mais ce n’est pas une recette : dès que ce style relevé frôle le ronron, Carpentier secoue son lecteur avec une étonnante chute de registre : « … Hébert LaMarche, ça paraissait lui convenir d’être ce qu’il était… » (p. 12). Puis, imperturbable, l’auteur remet du « profusément » et du « burinait-il » dans les lignes suivantes.
Il faudrait encore dire l’évolution dans le style de Carpentier, évolution vers une certaine retenue, ou sobriété, ce qui n’est pas peu paradoxal, aussi dirais-je plutôt "mesure" ou "économie de l’excès". On se rappelle avoir lu du Carpentier où bien peu de rigueur venait tempérer ces effusions.
« Le Champ du Potier » est le premier et le principal des Contes et récits d’aujourd’hui ; mais il faut avancer, et ne point parler que du style.
Que le cosmique et le biblique puissent efficacement s’éployer en si peu de pages, ce n’est pas rien. Le cosmique : les hémicycles de quarante ans de la vie de LaMarche, l’éclipse de soleil coïncidant avec son départ de la mairie, puis celle de la lune concomitante à sa mort, et la falaise s’altérant avec les années pour imiter le visage vieillissant du potier. Et le biblique : l’épigraphe racontant selon Matthieu l’achat du champ du Potier avec les trente deniers de Judas, la sainte colère de l’ermite contre le matérialisme des villageois, les tables gravées et les processions.
Mais ce Carpentier, qui est aussi ébéniste dans le soin qu’il met à ses constructions, n’est pas qu’érudit et styliste. On retrouve, comme dans « Le Serment de la cuisse » (dans le collectif Aimer), le thème du personnage qui découvre, après des décennies, avoir existé en vain, ignoré, sans la reconnaissance escomptée ou présumée. Au fond de ces effets de style et de ces faits d’imagination, n’est-ce pas la crainte cardinale de l’écrivain, qu’à l’heure du bilan toute l’œuvre de sa vie ne compte pour rien aux yeux des autres ? [DS]
- Source : L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 57-58.