À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Les deux yeux dans le même trou, un gars qui émerge à peine du sommeil trouve, au lieu de son ordinaire Journal de Montréal, une grande feuille pliée en quatre. Une fois dépliée, la feuille rappelle vaguement la une d’un quotidien quelconque. Sauf que ça bouge là-dedans, les paragraphes, les caractères, les lignes vibrent, tournent, se déplacent, se déforment. Le gars assiste d’abord à un genre de ballet de signes, puis ça vire à la guéguerre des caractères, et ça dégénère en véritable bataille aérienne. À partir du journal, les explosions, les bombes et les sirènes, les missiles de croisière, la mort qui s’éclate, les vibrations, le souffle brûlant et le hurlement des réacteurs, la poussière et la fumée finissent par occuper tout l’espace. À tel point que le personnage viendra s’ajouter au compte des dommages collatéraux dans l’une des guerres mises en scène dans les actualités.
Commentaires
D’ailleurs, ça ne s’arrête pas là : la fin du récit suggère l’éternel recommencement, avec comme variantes une fille à la place du gars et La Presse au lieu du Journal de Montréal. L’auteur veut-il signifier par là qu’on a affaire à une opération de grande envergure, à une extermination de masse (média), qui s’effectue au quotidien, avec des protagonistes renouvelés encore et encore, tant que de maléfiques feuilles de chou circulent en toute liberté ?
Dans cette histoire à l’écriture travaillée, Claude Bolduc use d’une langue précise et imagée, faite de phrases courtes, au rythme souvent emprunté à la parole. Il évite de faire des pages parce qu’il s’applique plutôt à emballer son intrigue et à embarquer son lecteur. Il sait ménager ses effets et toujours se garder une surprise en réserve. Il réussit même une belle progression dramatique dans le passage graduel du journal quotidien jusqu’au théâtre des opérations, malgré un ou deux virages difficiles à négocier. Par contre, le texte est structuré de manière dissymétrique : on flâne dans une longue entrée en matière (pour une nouvelle qui fait à peine trois pages), puis quand l’histoire décolle, alors là ça n’arrête plus. Pour prendre ses distances avec la tonalité sombre de son récit, l’auteur joue parfois au pince-sans-rire, dans l’introduction et la présentation des personnages en particulier.
Au total, on retient donc la métaphore des nouvelles qui tuent : littéralement, quand tu te laisses absorber par les actualités du journal, tu en deviens une victime et tu finis par succomber sur le champ de bataille des informations. [RG]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 25-26.