À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
En 1752, les Acadiens s’acharnent à vouloir construire une digue au fort Beauséjour, mais tous leurs efforts sont vains, la nature et la mer semblant être contre eux. Mais il y a plus, car au loin, « une forme satanique » s’agite pour leur nuire. Il s’agit de Renard-Brun, un sorcier amérindien qui sert d’espion aux Anglais et qui s’ingénie à commettre des méfaits diaboliques à l’endroit des Français et des Acadiens, même si le commandant du fort, le comte de la Vallière, l’avait charitablement aidé.
Alors que les travaux sont arrêtés, le commandant consulte le père Leloutre, vénéré comme un saint par la communauté acadienne de fort Beauséjour, qui lui dit laconiquement de reprendre les travaux dès le mardi suivant le dimanche de la Pentecôte. Or, ce jour-là, une vague énorme, apparemment provoquée par le mauvais sorcier amérindien, déferle sur la côte, mais elle est miraculeusement arrêtée par le père Leloutre, qui « avait recouru à Marie, la gracieuse patronne des Acadiens », pour contrer le malheur. C’est ainsi qu’est née « la Chaussée miraculeuse » que les Acadiens ont pu finalement construire grâce à ce miracle.
Commentaires
Ce texte relève de manière évidente du merveilleux chrétien, même si l’auteur prend la place du narrateur au milieu du récit pour défendre le fait qu’il s’agit d’une légende, c’est-à-dire d’un récit fondé sur des faits historiques rigoureusement vrais. Il va même jusqu’à débattre de la question encore plus à fond, en faisant une distinction bien nette entre les légendes comme celle qu’il rapporte et celles auxquelles il est « ridicule d’ajouter la moindre foi » (il cite la chasse-galerie et les loups-garous). Il prend par ailleurs la défense de la croyance qui est à la base de son récit, soit le « fait prouvé […] que parmi toutes les peuplades païennes où [les (le texte dit « nos »)] missionnaires portent pour la première fois les lumières, la doctrine de l’Évangile, le démon suscite des faits, même prodigieux, pour empêcher le règne du Christ de s’étendre ». Les faits suscités par le démon passent évidemment ici par le truchement du sorcier amérindien, sa sorcellerie se révélant toutefois moins puissante que la surnature divine, incarnée dans la figure du prêtre missionnaire, sorte de Christ thaumaturge, protecteur des bons Acadiens.
Il appert donc que ce texte de Picard est un véritable manifeste en faveur de la croyance dans les vertus du christianisme, de sa force incroyable – dont disposent les saints missionnaires – lorsqu’il s’agit de contrer les forces du mal, forcément païen.
Ce texte se situe tout à fait dans la même ligne idéologique défendue par l’abbé Henri-Raymond Casgrain (que Picard cite à l’occasion dans ses textes), dans ses Légendes canadiennes (1860-1861), et Joseph-Charles Taché, dans certains textes de Forestiers et Voyageurs (1863), où les « bons » Canadiens français sont protégés de manière surnaturelle contre les dangers que représentent les « mauvais » Amérindiens, qui puiseraient leur pouvoir à même une forme de diabolisme.
De manière troublante, ce racisme à peine voilé fonde ainsi en bonne partie la fantasticité ou plutôt le mirabilisme de cette « légende », car le texte permet de faire croire à la supériorité non seulement du Blanc face à l’Indien, mais également à celle du pouvoir du surnaturel chrétien en regard de la sorcellerie amérindienne. [MLo]
- Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 153-154.