À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
XYZ 39
Pagination
32-37
Lieu
Montréal
Année de parution
1994
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Affalés devant une reprise de Twilight Zone, trois amis déjà passablement ivres décident de se rendre dans un gros party qui doit avoir lieu sur une ferme isolée à l’intérieur des terres, chez une bande de jeunes qu’ils ne connaissent pas trop. Le trio, mort de rire et enivré par le vent frais, fait couler la bière à flots dans l’habitacle. Ne pouvant pratiquement rien voir à travers le pare-brise tant le brouillard est dense, ils se rendront vite compte que dehors – avec les rideaux de vapeurs qui se meuvent et font apparaître des pans de vision où objets et paysage gagnent un instant de matérialité avant de s’évanouir dans la fumée – est réellement un autre monde.

Commentaires

Dès le départ, la description entière de cette joyeuse virée indique qu’une catastrophe surviendra. On assiste, sur le ton de la modernité et, à première vue, sur le mode réaliste, à un court on the road vraisemblablement ancré dans un Québec digne des années soixante-dix. Mais l’intérêt est ailleurs ; il se trouve dans l’avancée du récit, dans chacune des certitudes, mais aussi des hésitations du narrateur tout au long du chemin. C’est d’ailleurs pourquoi ce dernier, « assis à la place du mort », c’est-à-dire à la droite du conducteur, place réputée être la plus dangereuse en cas de collision, ouvrira la portière en une sorte de pressentiment avec l’idée de sortir avant qu’il ne soit trop tard. Alors se dédoublera-t-il, créant ainsi une mise à distance avec les événements : « je nous ai vus […] comme l’équipage insouciant d’un bateau qui court vers une cataracte ».

Les copains, à « l’allure de fantômes égarés dans une nuit impossible », se perdront dans un dédale de rangs pour errer sur un tronçon incomplet parallèle à la route puis, à la suite d’un virage à ne plus finir, surviendra l’accident prévisible. Lorsque le narrateur se réveillera, le monde sera sens dessus dessous. Les protagonistes, c’est-à-dire Chris et Dé d’un côté et le narrateur de l’autre, finiront par suivre le chemin des pylônes. Chemin tortueux s’il en est un, sur lequel l’électricité, manifestation d’une forme d’énergie, n’est autre que la vie qui débouche inéluctablement sur la mort.

C’est donc l’alcool, et peut-être « autre chose », qui semble servir d’élément déclencheur à cette nouvelle de six pages. « Et puis, peut-être pas » puisque les amis avaient l’habitude « de ces sortes de mélanges ». Indécision, donc. D’entrée de jeu, Joubert crée une impression d’étrangeté en puisant dans les poncifs propres à la tradition narrative fantastique, c’est-à-dire en faisant reposer la cohérence de son récit sur l’ambiguïté qui règne entre les mondes réel et onirique. Dès l’incipit, un « sans doute » bien placé met la puce à l’oreille. Tout de suite après, le narrateur ne se souvient plus puis, il sait qu’on n’a pas besoin d’alcool ou de drogues « pour se perdre ». Par ailleurs, on remarquera que ce narrateur, une des parties prenantes au périple, supporte à lui seul tout le récit et qu’il est le seul membre du trio à exprimer ses pensées par la parole ; jamais ne s’adresse-t-il à ses camarades auxquels il prête pourtant certaines réflexions. Pour leur part, ces deux derniers, silencieux, se contenteront d’émettre des sacres, du moins aux dires de leur ami narrateur. Autrement dit, le soliloque de l’instance discursive est sujet à interprétation, ce qui ajoute incontestablement au flou qui baigne entièrement la nouvelle.

En jouant avec la véracité, en usant d’éléments dichotomiques convenus mais extrêmement efficaces qui sont propres au fantastique classique tels le rêve et la réalité, la clarté et l’obscurité, le dedans et le dehors, Dieu et le diable, en misant sur l’indécidabilité jusqu’à la toute fin (« Était-ce bien eux ? Pourtant, j’en suis sûr »), en ponctuant son texte d’éléments qui attestent la véracité du récit et, enfin, en saupoudrant ici et là des indices qui éclairent la fin de la nouvelle, Joubert joue bien de son instrument jusqu’au dénouement final. Un dénouement agréablement équivoque puisqu’à la fin, c’est quelqu’un d’autre qui raconte « les détails » de l’intrigue au narrateur, lequel a peut-être eu un pressentiment au cours d’un rêve. Mais il est aussi possible que Chris et Dé l’aient simplement précédé sur le chemin des pylônes. Ou encore, que ce narrateur ait assisté jusqu’au bout à un épisode de Twilight Zone présenté en reprise… Très bien mené. [MN]

  • Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 89-90.