À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un jeune garçon, qui admire les chiens et les compare aux humains, est fasciné par un dessein représentant cinq chiens jouant aux cartes et à l’argent. Peu après, il sauve un petit caniche blanc des mains de mauvais garnements. La nuit suivante, un chien transparent l’interpelle dans sa chambre et lui demande de formuler un désir. Le garçon souhaite visiter un de ces riches buildings, temples de la haute finance, qui l’impressionnent. Le chien exauce son vœu et le guide dans un édifice aux pièces somptueuses où des chiens de différentes races accomplissent des tâches monotones et répétitives pour un certain Arkéor qu’ils n’ont jamais vu.
Commentaires
« Le Chien transparent » propose une étonnante et plaisante satire sur le capitalisme en adoptant un regard de biais franchement réussi. À la manière d’un conte animalier, Claude Aubry se sert de la race canine pour brosser un portrait de la condition humaine asservie à l’argent.
À travers le prisme des affabulations du jeune garçon qui apprécie les chiens et les préfère à la compagnie des hommes, l’auteur décortique le système capitaliste, bâti sur la hiérarchisation des rôles, qui s’enrichit sur le dos des travailleurs et les réduit à l’esclavage, tout cela au profit de quelques privilégiés. À la base, il y a les chiencouchants qui consignent les transactions d’Arkéor, le Capital, le maître absolu et sans visage que personne n’a jamais vu. Il y a ensuite les manéors, reconnaissables à leur front développé, qui dirigent les chiens-travailleurs. Les tollétors se distinguent par le développement extraordinaire de leurs mâchoires. Ils permettent aux manéors de satisfaire leur caractère chicanier en leur servant d’interlocuteur. Ils agissent comme des psychologues appelés à réguler le trop-plein de frustrations. Il y a enfin le grand manéor qui signe sans répit les permissions sans lesquelles aucun travailleur ne peut accomplir un acte ou esquisser un mouvement.
Au fil de sa visite du temple du Capital, le garçon se rend compte de la vie aliénante des chiens et se réjouit d’appartenir à la race des humains. La démonstration par substitution des rôles atteint sa cible.
Claude Aubry possède un talent certain pour la satire et il excelle dans la caractérisation des personnages en s’attardant notamment à leurs traits physiques. Son recueil compte une galerie de portraits féroces qui dévoilent l’âme de ses personnages. Dans « Les Cloportes » – déjà, le titre exprime le dégoût qu’inspire le couple Bizot –, l’exposition de l’égocentrisme et de l’insensibilité du couple est percutante : celui-ci vit dans « un appartement étanche à la pluie, à l’air, à la misère d’autrui et à la charité comme la carapace d’un crustacé. » Cette phrase traduit en outre à merveille le glissement qui mène insidieusement du confort matériel à l’indifférence, à l’absence de sens moral.
L’écriture de Claude Aubry est très visuelle et finement suggestive mais elle a tendance à devenir pédante dans certaines nouvelles en multipliant les tournures de phrase alambiquées ou maniérées. Les nouvelles où l’auteur donne libre cours à sa nature de satiriste, comme « Le Chien transparent », sont beaucoup plus captivantes que celles qui présentent le résumé d’une existence mélodramatique traitée avec componction, sans ce zeste d’ironie qui fait la réussite des premières.
Avec Miroirs déformants, Aubry signe un recueil original, au style plus personnel que Le Violon magique et autres légendes du Canada français qui ne propose qu’une réécriture correcte, mais sans plus, de contes très connus du répertoire québécois. [CJ]
Références
- Lemieux, Louise, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec III, p. 638-639.