À propos de cette édition

Éditeur
BQ
Genre
Science-fiction
Longueur
Recueil
Format
Livre
Pagination
333
Lieu
Montréal
Année de parution
1991
ISBN
9782894060629
Support
Papier

Commentaires

Parmi les écrivains de SFQ, Jean-Pierre April est en ce moment celui qui a le plus de rayonnement dans la francophonie, qui est le mieux connu à l’extérieur du seul territoire québécois. Le roman Berlin-Bangkok et ce nouveau recueil nous aident à comprendre pourquoi.

Première compilation majeure d’April depuis sept ans, Chocs baroques rassemble six de ses meilleurs textes récents, trois autres repris de La Machine à explorer la fiction (1980) et de TéléToTaliTé (1984), plus une nouvelle qui n’avait jamais figuré dans aucun de ses recueils. Si l’on ajoute à cela N’ajustez pas vos hallucinettes, l’essentiel de l’œuvre – qui reste encore privé, malheureusement, d’une importante novella, « Coma-90 » : pouvons-nous espérer revoir ce texte un jour ? – du nouvelliste April est maintenant accessible à un plus large public. À la fois florilège et testament – on sait que Jean-Pierre April a quitté le champ de la SF –, Chocs baroques est une excellente introduction à l’œuvre d’un des authentiques talents de la SFQ. Le volume est accompagné d’une introduction de Michel Lord qui discute le « baroquisme » de l’œuvre aprilienne et définit bien, à mon sens, certaines préoccupations d’April, ainsi que d’une bibliographie de ses parutions en volumes.

Du « Vol de la ville » (1980) à « La Forêt de mes enfances » (1989), c’est une visite fascinante qu’on fait dans l’élaboration d’une œuvre à la fois divertissante et difficile d’accès. Divertissante, à cause de l’imagination de l’auteur qui, rarement prise en défaut, fuse de toutes parts ; difficile, parce qu’April se garde bien de tout nous mâcher d’avance et qu’un effort de lecture est parfois requis. Que ceux qui ne connaissent pas l’œuvre d’April (en est-il encore ?) ne se fassent aucune inquiétude : cet effort est le plus souvent récompensé.

On a souvent souligné le caractère nord-américain des fictions d’April. Cela me semble insuffisant. Les sources SF ne sont pas celles qu’on pense. Dans le développement de la SF d’expression française, April se rattache plus directement à la génération des écrivains de SF française des années soixante-dix. Loin de moi l’idée d’en faire un Jeury – même si Jeury n’est pas absent de son œuvre – mais il me semble qu’April a plus en commun avec les Houssin, Mathon, Douay, Ligny (et Brussolo, pourquoi pas ?) qu’avec ses contemporains américains. Comme ceux-là, il n’a pas échappé aux sortilèges de Sheckley, de Dick et de Ballard. Comme eux, il fait feu de tout bois. Comme eux, il tire au jugé, ne prenant pas toujours le temps de constater si le coup a porté. L’usage de lieux nord-américains, la transformation du pays lui-même ne doivent pas nous boucher la vue : April est autant européen que nord-américain. C’est-à-dire qu’il est très québécois. C’est un angry young man… qui sait heureusement rire.

Je m’étonne un peu qu’on n’ait jamais traité de l’humour d’April autrement qu’en termes abstraits. Décapant, satirique, écorcheur, rabelaisien, hénaurme, on a dit bien des choses sur l’auteur de Berlin-Bangkok, mais on n’a jamais insisté outre mesure sur le simple fait qu’il sait faire rire. Il faut relire « Le Fantôme du Forum » pour le sérieux papal avec lequel il décrit le Samedi Soir de Gasse Ratté. Même degré de réussite avec « Il pleut des astronefs », farce toute aussi tolstoïenne que dickienne. Sujet scabreux, « La Survie en rose » ? Peut-être, mais dans les mains d’April, on serait bien mal venu de s’en formaliser. Et reconnaissons qu’il est bien difficile de lire sans sourire un mythomythe (je me réserve le terme) comme « Canadian Dream ». Parfois, il est vrai, l’humour joue légèrement à faux, comme dans « Le Vol de la ville ». Dans ce dernier cas, un déséquilibre dans la charge humoristique a comme conséquence d’enlever de la crédibilité à l’ensemble du récit (je pense en particulier à l’idée de faire usage de pétrole pour propulser le stade de Jos Drapo).

Mais si la charge burlesque apparaissait comme un trait caractéristique des premières fictions, au point de masquer le sérieux de l’entreprise aprilienne (voir la préface de Michel Lord), la deuxième moitié des années quatre-vingt s’est chargée de nous (dé)montrer une autre facette de Jean-Pierre April.

Si vous n’aimez pas les écrivains qui se mettent en scène dans leurs récits, lisez quand même « Coma-123, automatexte ». Vous y découvrirez, outre un exercice littéraire cohérent, une interrogation douloureuse – mais pudique – sur le sens (ou le non-sens) de la création artistique. (Et vous sourirez, oui, malgré la noirceur du propos.)

Avec « Impressions de Thaï Deng », April a probablement produit un de ses textes les plus aboutis – j’entends dire « le plus abouti ». C’est certainement la meilleure nouvelle de 1985, année pourtant fertile en textes de qualité. On n’oubliera pas facilement cette longue hallucination aux colorations conradiennes, pleine de boue et d’humanité déchirée. C’est ce monde, rêvé autrement, qu’on redécouvrira dans le roman Berlin-Bangkok.

Il faudra attendre 1989 et « Dans la forêt de mes enfances » pour découvrir un April plus près de lui-même, plus objet d’observation qu’observateur. Ce n’est pas une expérience habituelle d’être ému par un texte d’April. On est secoué, renversé, agressé et caressé, parfois irrité, mais pas ému. C’est pourtant l’effet que me fait cette tendre et difficile recherche du père. Certainement une de ses plus belles réussites. Elle lui a d’ailleurs valu le Prix Littéraire de la Société Saint-Jean-Baptiste (Fondation Mgr Parenteau) avant de paraître dans imagine…

Il ne faudrait pas croire que le nouvelliste April n’a pas de défaut. On l’a mentionné souvent : le mouvement de ses récits est parfois arrêté par des dialogues à rallonge ou des explications trop appuyées. Peut-être, mais depuis Defœ et Fielding (et pourquoi pas Homère ?), c’est un procédé légitime dans une comédie (au sens aristotélicien). Bien sûr, l’équilibre du récit en souffre parfois. Parmi les textes du recueil, il n’y a guère que « TéléToTaliTé » qui présente ce défaut, sans pour autant que la sauce en soit sérieusement gâtée. Par ailleurs, le récit me semble à l’étroit pour sa matière. Si vous aimez vos réalités un peu confuses…

On a critiqué le style d’April dans le passé. On l’a dit un peu brouillon, mal contrôlé. Mais c’est oublier que le style ne peut être défini dans l’abstrait. Il n’y a pas de style per se ; il n’y a que le style qui convient à chaque projet. Ces reproches seraient de toute façon mal justifiés dans le cas de Chocs baroques, en particulier pour les textes les plus récents. Dans « Le Mémoribond et le neurobot », la monomanie scientifique de Hyashi Nakabata est rendue à travers un impressionnant barrage lexical qui nous hypnotise lentement (c’est d’ailleurs son but). Il en va de même pour Gaston Ratté qu’on voit construit à travers l’écriture lente et alcoolique du « Fantôme du Forum ». Et même sur le mode plus bouffon d’« Il pleut des astronefs », on constatera une retenue et un contrôle auxquels ses textes anciens ne nous avaient pas habitués. Sur un mode plus sombre, la sobriété stylistique d’« Impressions de Thaï Deng » confère au texte un haut niveau de réalité et de conviction. Le lecteur ne peut qu’être convaincu à son tour.

Jugement global : un excellent recueil où les meilleurs textes sont les plus récents, ce qui nous fait regretter davantage la décision de l’auteur d’abandonner le domaine de la science-fiction. Il fait déjà partie de mes dix titres pour une bibliothèque fondamentale de la SFQ.

Le conseil d’usage (il faut toujours le répéter) : ne lisez qu’une nouvelle à la fois. La SF d’April aime bien mijoter…

Jugement final : Chocs baroques est le meilleur recueil de Jean-Pierre April et, à cause de sa large diffusion, celui sur lequel reposera sa réputation de nouvelliste SF. [GS]

  • Source : L'ASFFQ 1991, Le Passeur, p. 9-13.

Références

  • Janelle, Claude, Lettres québécoises 66, p. 26.
  • Larocque, François, Québec français 84, p. 87.
  • Martin, Christian, Temps Tôt 17, p. 24-25.
  • Meynard, Yves, Samizdat 21, p. 17-18.
  • Painchaud, Rita, imagine… 60, p. 108-110.
  • Trudel, Jean-Louis, Solaris 100, p. 61-62.