À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Denis Blackburn, officier du contre-espionnage de l’armée québécoise, débarque au Mexique pour y retrouver Sébastien, son jeune ami, engagé dans une guérilla. Mais il arrive trop tard ; Sébastien a été abattu lors de l’attaque de la petite ville de Comitan.
Blackburn est prêt à tout pour revivre un instant auprès de Sébastien. Habitué à consommer des drogues expérimentales – fournies par l’armée pour stimuler ses dons prémonitoires et télépathiques –, Blackburn n’hésite pas à absorber plusieurs capsules de chronoreg, qui procure, dit-on, un effet de régression dans le temps. Il espère ainsi retourner quelques heures en arrière et peut-être pouvoir changer le cours des événements. Effectivement, le chronoreg lui permet de revivre l’attaque de Comitan, mais il demeure impuissant face à la mort de Sébastien.
Après avoir perdu connaissance pendant plusieurs heures, à la suite de ce premier retour dans le passé, Blackburn se réveille dans une magnifique villa. Lavilia Carlis, une femme mystérieuse, prend soin de lui. Lorsque Blackburn doit quitter le Mexique, elle lui affirme que leurs chemins se croiseront de nouveau.
De retour au Québec, le commandant Blackburn se voit confier une mission. Dans le Labrador, riche en ressources hydro-électriques, la guerre qui oppose un Québec souverain, Terre-Neuve et le Canada devient de plus en plus tendue. Les grandes puissances ont des intérêts dans cette affaire. La base sous-marine de l’armée québécoise, située à Havre-au-Lac, attend la visite du Krilenko, un sous-marin soviétique. À son bord, le contact Hélène Michalski ; on la soupçonne de jouer double jeu et d’être partisane des Irréguliers, un groupe d’extrémistes également impliqué dans le conflit.
Blackburn est envoyé à Havre-au-Lac. Grâce à l’injection d’une drogue qui accentue son acuité à lire dans les esprits, il essaie de sonder celui de Michalski. Mais cette dernière possède sans doute aussi des dons télépathiques puisque Blackburn est incapable de lire dans ses pensées. Après sa courte visite, Michalski remonte à bord du sous-marin. Le Krilenko s’apprête à quitter la base de l’armée québécoise lorsque, soudain, il disparaît sous un gigantesque vaisseau invisible venu de nulle part.
Entre-temps, l’armée a repéré le quartier général des Irréguliers. Ceux-ci s’apprêtent à investir l’enclave Churchill et ses barrages hydro-électriques, le principal enjeu de cette guerre. Blackburn et quelques hommes sont envoyés au Q.G. des Irréguliers à titre de sympathisants pour la cause rebelle. Ils ont trente heures pour s’infiltrer et réussir à en savoir plus sur les stratégies du chef, Jac Marin.
Marin a compris le stratagème et sait qu’il est perdu. Il a reconnu Blackburn, son ancien amant. Malgré les années, Blackburn est incapable d’éliminer ce rival pour qui il éprouve encore des sentiments troubles. Marin en profite pour réaliser sa grande sortie : il s’enferme dans son sous-marin nucléaire. Quelques minutes plus tard, explosent le réservoir du barrage Smallwood, Churchill II et les installations du futur Churchill III. Marin a sacrifié sa vie et celle de centaines d’innocents.
Lavilia Carlis réapparaît dans la vie de Blackburn. Mais qui est-elle exactement ? Une extraterrestre. Une Éryméenne. Les Éryméens, pacifistes, veulent à tout prix éviter un conflit terrestre mondial. Lavilia sait que, grâce au chronoreg, Blackburn a peut-être une chance de changer la tournure des événements. Et effectivement, au moyen de la chronorégression, Blackburn réussit à revivre les trente heures passées dans le Q.G. des Irréguliers et à faire en sorte que Jac Marin soit mort avant de jouer au kamikaze.
Blackburn ressort de cette dernière mission vainqueur, mais l’absorption abusive du chronoreg et des autres drogues ont détruit plusieurs cellules de son cerveau. Dans sa tête, passé, présent et futur se confondent en une sorte de délire onirique.
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Commentaires
Qui peut se vanter de pouvoir résumer une œuvre qui a mûri pendant dix ans dans les méninges d’un écrivain ? Surtout dans celles de Daniel Sernine.
Va pour le résumé, ci-haut, de la trame politique de Chronoreg qui n’est pas sans intérêt. Complexe ? Pas vraiment. Certes, de nombreux lieux, personnages et intrigues, mais le tout solidement construit. Une histoire qui demande un « plus » de la part du lecteur, au même titre qu’un bon film demande toute notre attention. Parce que c’est vrai que l’écriture serninienne est cinématographique. On aime ou on n’aime pas. Comme pour le style de chaque écrivain. Sernine ne s’en cache pas : Apocalypse Now, Deer Hunter et Blade Runner l’ont inspiré dans la rédaction de ce roman d’envergure. Et alors que ces films ont été acclamés à l’écran, on reproche à Sernine la violence de certaines scènes de son roman. N’est-ce pas un peu absurde de reprocher à un roman de guerre d’être trop violent ? Reproche-t-on aux films humoristiques d’être trop drôles ? Aux films d’horreur d’être trop horribles ? Mais je suis rassurée : l’important, c’est que Sernine assume la part de violence dans son œuvre puisqu’il dit (voir entrevue, Solaris 105) qu’il réécrirait Chronoreg tel quel « à quelques mots près ». Est relancé ici le vieux débat entre le pouvoir des mots et celui des images…
Devant un roman si dense, il est impossible de résister à la tentation de faire des liens avec le reste de l’œuvre serninienne. La guerre dans le nord du Québec autour de l’enclave Churchill, les Irrédentistes et la menace nucléaire me rappelaient vaguement « Monsieur Olier devient ministre », une nouvelle de Sernine publiée pour la première fois en 1986 et reprise dans l’anthologie SF • Dix années de science-fiction québécoise. La note biographique de Daniel mentionnait que cette nouvelle se rattachait à « un roman de science-fiction encore inédit, Chronoreg ». Sauf que si monsieur Olier jouissait à l’idée d’être le nouveau premier ministre de Chibougamau, le héros de Chronoreg, Denis Blackburn, a d’autres préoccupations que de s’enorgueillir d’un titre.
Denis Blackburn, la quarantaine (43 ans, si ma mémoire est fidèle), militaire viril et solitaire. Mais il n’a rien d’un G.I. Joe ultra-discipliné, d’un Arnold Schwarzenneger invincible ou d’un James Bond irrésistible. C’est un antihéros ; il a des faiblesses et les assume. C’est un émotif, un de ces personnages serniniens qui nous laissent une impression de malaise. On n’est pas certain de le trouver sympathique, mais on ne le déteste pas non plus. Il nous dérange. Parce qu’on sait à peine de quoi il a l’air et qu’on ne connaît qu’une mince partie de son passé. Même si on essaie de le comprendre, de le saisir, il finit toujours par nous échapper. Il demeure une énigme et ce, même pour les autres personnages du roman.
En plus d’être une énigme, Denis Blackburn est carrément marginal. Il est homosexuel et particulièrement pédophile. Choquant ? Dégueulasse ? Pas vraiment. Pas du tout, devrais-je dire. On parle ici bien plus d’une recherche de tendresse que de rapports sexuels. Ce qui n’exclue pas ces derniers, mais sous une plume ayant du métier, ce sont des scènes qui se lisent comme les autres. Même que certaines sont plutôt érotiques. Sernine affectionne les êtres marginaux. Il n’essaie pas de nous les faire aimer ou haïr. Il nous les présente tels qu’ils sont. Ça donne parfois des personnages violents qui n’ont aucun repentir, comme ce psychopathe qu’on surnomme Dragon qui viole, torture et tue des innocentes ou Jac Marin qui sacrifie sa vie pour en éliminer des centaines d’autres. Difficile à digérer ? Peut-être. Mais faut-il rappeler que c’est la guerre ? C’est vrai que nous, Québécois, ne sommes pas habitués à une telle violence. On ignore quel genre de barbarie découlerait d’une guerre chez nous… Sernine nous donne sa version, non censurée.
Dans l’univers serninien, les femmes aussi sont souvent marginales. Dans Chronoreg, il y a Lola, la tenancière de bordel, une amie de Blackburn. Lavilia Carlis et Hélène Michalski sont des extraterrestres. L’avenir semble trop cruel pour les femmes « ordinaires ». Elles sont trop sensibles et fragiles pour survivre dans un monde où se baladent des êtres comme Dragon en quête de nouvelles victimes. Dans un monde en guerre, il n’y a pas de place pour les couples ni pour les mères. Quel est l’intérêt de mettre au monde des enfants ? Pour les envoyer à la guerre ? Il ne reste que les putes, sympathiques et compréhensives, qui, victimes de la guerre, connaîtront elles aussi une fin tragique. Mais de toute façon, guerre ou pas, Blackburn ne veut pas d’une vie de couple « normale ». Il a jadis eu une aventure avec Florence, une femme divorcée, mère d’une petite fille. Il a mis fin à cette relation parce qu’« il n’aurait plus été lui, il aurait été le tiers d’eux ». (p. 166) Une phrase qui résumerait peut-être bien le point de vue de Sernine sur la vie de couple puisque la majorité de ses personnages principaux sont des êtres solitaires.
Blackburn est donc confronté à la violence, à la toxicomanie, à la solitude et à la bêtise humaine de cette Terre du début du XXIe siècle. Une lueur d’espoir ? Ce peuple extraterrestre, les Éryméens, que les fans de Sernine connaissent bien car ils sont présents dans plus d’une de ses histoires. Les Éryméens pacifistes, qui empêchent l’Homme de sombrer encore plus bas dans sa déchéance. Déjà, dans « Monsieur Olier devient ministre », il était dit que les « grands de ce monde “savent quelque chose” qu’ils refusent de dévoiler à l’humanité ». Dans Chronoreg, Lavilia Carlis avoue que seuls les chefs des grandes puissances et l’ONU connaissent l’existence des Éryméens. Anticipation, monsieur Sernine ? Sait-on jamais…
La notion de distorsion du temps semble fasciner l’auteur et ce, depuis ses jeunes débuts d’écrivain fantastique. Il n’est donc pas surprenant que tout ce cheminement ait abouti à une œuvre d’importance comme Chronoreg. Sernine n’en était pas à l’invention d’une première drogue avec le chronoreg. Mais cette fois, il a imaginé la drogue sublime par excellence, celle qui surpasse tous les klair, croque et autres hallucinogènes. Celle par qui il est enfin possible de naviguer dans des univers parallèles. La drogue qui permet de remonter dans le temps et de changer le cours des événements. Ouf ! Si une telle drogue existait…
De Chronoreg, Sernine dit en entrevue (Solaris 105) : « Elle m’a accompagné pendant presque dix ans, une œuvre dans laquelle pour la première fois je m’investissais beaucoup. » Et ça paraît. On sent que Sernine a écrit Chronoreg avec ses tripes. Avec beaucoup de sensibilité. Le plus curieux, c’est que malgré cet investissement, le roman de Sernine m’a laissé une impression de grande pudeur. J’en vois plus d’un froncer les sourcils. Quoi ? De la pudeur dans des scènes de violence horribles, dans des scènes de baise explicites entre hommes ? Bien oui. L’écriture de Sernine a atteint une certaine maturité sans pour autant perdre ce qui fait tout son charme, cette espèce de flegme qui laisse une impression de « je ne vous livrerai pas tout ». L’atmosphère serninienne me laisse toujours une impression de « noir chaud ». Noir chaud ? Oui, comme un immense carnaval, allégorie de la vie, où sous les masques cohabitent amour, haine, séduction, joie, malheur, double jeu, double personnalité. Monstres et déesses… Dans Chronoreg, les scènes de carnaval mexicain sont très belles. Elles me rappelaient celles de D.H. Lawrence dans Le Serpent à plumes. Daniel Sernine aime les masques et refuse de les laisser tomber gratuitement.
Toujours en entrevue, Sernine confie qu’il aime Blackburn et que le voir devenir fou ne lui plaît guère. Il n’écarte donc pas la possibilité que les Éryméens, grâce à quelque technologie de leur invention, puissent régénérer les cellules mortes de son cerveau, qu’ils puissent éliminer en lui toute trace de chronoreg, céré-psy ou autres drogues qui lui ont bousillé plusieurs neurones… Une bonne nouvelle. Après tout, il nous en reste beaucoup à apprendre sur Blackburn. Car aussi bien l’avouer, j’ai aimé l’intrigue de Chronoreg mais surtout, j’aime les personnages marginaux de Daniel Sernine. [NB]
- Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 170-174.
Références
- Bonin, Pierre-Alexandre, Collections, vol. 2, n˚ 6, p. 18.
- Bonin, Pierre-Alexandre, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, p. 156-157.
- Cadot, Richard, Montréal Campus, avril 1992, p. 23.
- Dupuis, Simon, Solaris 101, p. 59-60.
- Gauthier, Luc, Fugues, vol. 9, n˚ 4, p. 119.
- Martin, Christian, Temps Tôt 18, p. 52-53.
- Meynard, Yves, Samizdat 21, p. 22-24.
- Mirandette, Marie-Claude, Le Devoir, 04/05-12-1999, p. D 10.
- Painchaud, Rita, imagine… 63, p. 155-157.
- Pelletier, Francine, Samizdat 21, p. 26-27.
- Ruaud, André-François, Yellow Submarine, juin-juillet 1992, p. 16-17.
- Trudel, Jean-Louis, The New York Review of Science Fiction 61, p. 20-23.
- Vonarburg, Élisabeth, La Presse, 09-01-2000, p. B 4.