À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Maani, voyageur temporel et redresseur d’humanité, a découvert au cours de ses déplacements dans l’avenir que la vie, sur la Terre trop polluée, s’éteindra dans environ deux siècles. Il faut donc intervenir. Modifier le cours de l’Histoire par des altérations ponctuelles apparaît extrêmement dangereux ; on peut même se supprimer (si l’on en croit ce paradoxe qui veut qu’en provoquant la mort d’un quelconque ancêtre avant qu’il ait établi sa ligne de progéniture, on biffe automatiquement sa descendance) ! On choisit donc une voie plus subtile, les changements de conscience, de mentalités. On dissémine dans le passé un air positif puisé dans des périodes fastes.
Mais tout ne va pas sans difficultés entre les trois époques. Les gros méchants loups du Service d’espionnage canadien et du FBI, de l’OTAN et de (feu) le Pacte de Varsovie sont manipulés par de verts « intraterrestres » qui ont tout intérêt à ce que la pollution dure car l’effet de serre réchauffe l’atmosphère, ce qui pourrait leur permettre enfin de vivre à la surface. Races dégénérées, les deux sous-espèces de glauques humanoïdes tentent sans succès, pour se survivre, des croisements génétiques avec les habitants du plancher des vaches. Il leur faut régulièrement prélever leur tribut de cobayes humains. Ils sont très intéressés à capturer l’un des spécimens d’enfant, récemment « tombés » sur Terre comme sondes d’avant-garde et dont le capital génétique risque d’être plus prometteur que leur cheptel habituel. Mais c’est sans compter sur le village OSVA qui protège les deux extraterrestres convoités et sur Maani qui fait du temps à venir son affaire. Il faut sauver la Terre, sinon il faudra repartir avec les trois milliards et quelques (en population contrôlée !) qui s’en viennent dans 150 ans (environ) à la recherche d’une terre d’accueil.
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Commentaires
Les débuts de La Cité de Cet de Daniel Kemp rappellent des œuvres fort connues. En effet, comment ne pas faire de rapprochements entre « [l’] objet, apparemment noir, [...d’] à peine deux mètres de longueur sur un mètre de largeur par un mètre de hauteur » qui vogue dans la nuit sidérale et ceux de forme rectangulaire des 2001 et 2010 d’Arthur C. Clarke. Comment aussi ne pas faire de parallèle entre le dormeur de huit ans environ qui vit « depuis déjà plusieurs milliers d’années » dans ce caisson et qui terminera son périple sur Terre dans des circonstances semblables à celles imaginées par Pierre Billon dans L’Enfant du cinquième nord, c’est-à-dire unique survivant, indemne et mystérieux, d’un accident d’avion, l’hiver, garçonnet dont les forces armées voudront s’assurer le contrôle comme d’un secret d’État.
Intertextualité souhaitée ou non, l’auteur a eu intérêt à se démarquer de ces références en poursuivant son récit de manière plus personnelle. Comme chez Billon cependant, le jeune garçon restera chez Kemp une figure centrale autour de laquelle seront reliés la plupart des développements du roman, mais le petit extraterrestre – du moins dans le cadre de ce premier volet d’une histoire romanesque (présumée actuellement) en deux parties – n’est pas un personnage décisionnel et n’a guère d’influence sur son propre destin, hormis la fugue qui lui permet d’échapper aux Services secrets canadiens. Le deuxième enfant venu des cieux, une jeune fille cette fois-là, manifestera encore moins d’initiatives et jouera un rôle plus que secondaire parmi les dizaines d’intervenants que révèle cette fiction.
La lecture préalable des trois historiques qui clôturent l’œuvre de Daniel Kemp permet de présupposer qu’il s’agit d’une utopie. La quatrième de couverture avait par ailleurs jeté déjà une piste en ce sens car cette présentation servait à ses lecteurs le néologisme « utopiser » pour signifier, y ajoutait-on rapidement, « créer dans sa tête un endroit merveilleux où tout est possible ».
L’hypothèse pressentie demande cependant à être vérifiée et c’est pourquoi il faut procéder ensuite à l’analyse du contenu de La Cité de Cet. Des travaux sur l’utopie (LeBrun-Gouanvic : Imagine… 8-9, 1981 : 153-155, reprenant Suvin) apprennent à la reconnaître sommairement à trois situations particulières, lesquelles sont présentes dans l’ensemble des productions classées sous cette appellation. Les utopies se déroulent systématiquement dans un cadre géographique isolé, elles comportent une réglementation minutieuse dans un cadre sociétal organisé et leurs récits s’accompagnent d’un artifice d’écriture relevant des procédés propres à la littérature.
On peut régler aisément le premier point : le lieu géographique particulier. Souvent, dans les utopies, il s’agit d’une île. Mais ce n’est pas obligatoire et ce n’est le cas pour aucun des trois lieux principaux présupposés utopiques du présent roman de Kemp, les trois villages nommés ci-après. Ceux-ci sont isolés… et, de plus, autonomes. OSVA est situé quelque part au Québec à une proximité relative du Mont Saint-Hilaire et se veut un modèle de « village écologique de l’avenir ». En outre, ses habitants sont indépendants financièrement. Cet est une colonie de peuplement installée « 120 millions d’années avant notre ère [...] sur le Bouclier Canadien » par des voyageurs temporels issus du tournant de notre siècle. Cep est une cité sous globe fondée en 2158 par les habitants de Cet, à une époque où la vie humaine a disparu à cause de la pollution. Elle vise à « créer une traction dans l’avenir, sur la conscience psychologique des humains du passé », afin donc de sauver l’humanité de son destin. Chacune des micro-sociétés a adopté des structures géodésiques pour s’abriter, suffit à sa propre défense comme à son développement et est interreliée grâce aux UTT ou Unités de Transport Temporel. La première constante, le lieu isolé, apparaît satisfaite.
Qu’en est-il maintenant de la seconde ? Société organisée et maniaquement réglementée ! Les exemples mathématiques le démontrant pourraient être énumérés à profusion. Ainsi ouvre-t-on au hasard : « vingt-trois garçons, trente-deux jeunes filles et [...] treize femmes enceintes » enlevés pour des croisements génétiques, « vingt-deux sosies » résultant d’une modification temporelle annulée, « 3 milliards 284 millions 852 milles (sic) 142 êtres [qui] vivent » dans une nef spatiale se dirigeant peut-être vers la Terre. Par ailleurs, en Cité de Cet, « la circulation à pied est de rigueur partout dans la ville » ; un jeune homme apprend à « recentrer sa conscience dans sa tête afin de contrôler [s]es sécrétions hormonales ». Toute action passe par une volonté déterminante, et non bêtement émotive, obtenue par les techniques de PMC (Programme Maître Contrôleur). « [C]haque être [...] vit par la logique du cadre. Il apprend tout jeune à conserver l’énergie. Pas son énergie, mais l’énergie ».
La liberté n’est pas bannie pour autant, les PMC ne cherchent vraiment qu’à rendre les gens plus libres, plus éclairés, débarrassés qu’ils sont alors des émotions négatives. « L’homme doit être son seul maître ! », dit un personnage reprenant la devise qui accompagne les armoiries illustrant la couverture. Les descriptions, on a pu le constater par ces brèves mentions, sont souvent chiffrées, mathématiquement et minutieusement détaillées ; les comportements sociaux et individuels encouragés sont ceux résultant des PMC mis en vedette. La deuxième condition pour qu’il y ait utopie est remplie. (On pourrait même prétendre avec humour qu’elle déborde dans ce livre !)
Examinons la troisième condition, l’aspect formel et littéraire. Dès la page couverture, le récit s’affiche comme roman, mais précise-t-on plus tard, « un roman initiatique [...] écrit et publié par une personne du groupe », membre de « l’Académie PMC », lieu où l’on s’efforce de développer des « techniques [...] permet[tant] l’amélioration du corps, du cerveau, des sens vitaliques, de la télépathie, de la guérison, etc. » L’ouvrage se voudrait, somme toute, une figuration fictionnelle de la pensée d’un groupement d’individus oeuvrant à réaliser les bases d’« une société-communautaire-écologique ».
Techniquement, il s’agit bien d’un roman, divisé en trois livres d’inégale longueur mais totalisant 46 chapitres relativement courts, à numérotation continue, et auxquels s’ajoutent, en addenda, un aperçu du tome II à venir, une note de l’auteur précisant que « [l]es techniques PMC sont tirées de la méthode PMC de l’Académie PMC et cela avec autorisation » et les trois historiques évoqués plus haut qui renseignent sur les trois lieux « utopiques », les villages Cep, Cet et OSVA où est campé l’univers romanesque. Il faut signaler aussi qu’un narrateur omniscient date chacun des chapitres à la façon d’un journal ou d’un rapport et que l’action réputée fictive se déroule du 4 décembre 1990 au 4 décembre 1991. Voilà qui illustre que La Cité de Cet remplit aussi la troisième condition.
Le roman de Kemp se classe donc dans la grande famille des utopies. Mais de quelle espèce s’agirait-il ? D’une écotopie ! Les références abondantes à l’écologie, à la conservation de l’énergie, sous quelque forme qu’elle se présente, le démontrent. Tout comme le désir des trois villages de préserver l’humanité, la vie, les pousse à intervenir dans et sur le temps afin de changer les consciences.
Et s’il faut bâtir un monde meilleur, on parle alors d’eutopie (Bouchard : « L’Utopie aujourd’hui »), ou d’utopie positive. La fiction se déroule-t-elle dans le temps qui nous est contemporain ? On dit qu’elle est homochronique. Le récit de Kemp et ce qui se passe au village OSVA se déroulent à notre époque. Mais les déplacements dans le passé et dans le futur ? Comme ils s’opèrent sur une période d’un an, en référence à notre calendrier, ils resteraient homochroniques. Isolés de cette référence, les univers de Cep et Cet deviendraient toutefois hétérochroniques. La distinction peut sembler oiseuse, tout comme la question de l’homotopie ou de l’hétérotopie du roman. Est considéré homotopique le village OSVA, Québec, Montréal, Sainte-Mareille de La Cité de Cet parce que ces lieux sont situés au Québec, et hétérotopique le territoire du Bouclier canadien qui nous est étranger, comme Cet qui y est située, les U.S.A., Paris, etc. ou atopique l’endroit qui n’est pas aisément identifiable, tout comme Cep et l’espace intersidéral (Bouchard).
Une utopie n’est pas un acte gratuit. Les spécialistes nous convainquent qu’elle est une réponse à un malaise social (Bouchard ; Giroux : id.) d’une société donnée. La réplique de Kemp se révèle surtout comme une proposition d’amendement de nos habitudes polluantes (l’auteur ne dénonce-t-il pas le cul-de-sac dans lequel l’humanité s’est apparemment engagée ?), elle favorise une prise de conscience individuelle mais globalisante de la problématique tout en suggérant des techniques développant cet aspect initial de la proposition (la conscience individuelle). Mais elle touche aussi l’éducation des enfants et prend position sur les tensions internationales, du moins celles qui avaient cours au moment probable de la rédaction du tome I – l’utopiste n’avait prévu ni la Guerre du Golfe, ni le démantèlement de l’URSS, ce qui a pour effet de donner une saveur « uchronique » à son récit. D’autre part, la réussite du virage écologiste qu’il souhaite modifierait l’Histoire et placerait la Terre (et son roman) en pleine uchronie ! Le tome II nous permettra sans doute d’y voir clair, répétons-le…
L’ouvrage de Kemp demeure dans l’ensemble à tout le moins touffu. Peut-être se précisera-t-il au deuxième tome. Le narrateur en a plein les bras en menant « unanimistement » ses personnages dans ses trois principaux lieux d’action et certains autres, secondaires. Si Maani reste le point de référence, le décideur principal du récit, le jeune extraterrestre Benoît vole souvent la vedette du roman dont il est l’un des deux enjeux, l’autre étant la planète. L’auteur a vraisemblablement choisi cependant d’illustrer la valeur de la méthode PMC et ce qui en découle, aux dépens de la psychologie approfondie de ses protagonistes majeurs et aussi d’une projection politique élaborée. Qui sont ces Chevaucheurs de lumière avec lesquels les écologistes sont très sporadiquement entrés en contact ? Seule la suite nous informera sur… l’avenir de chacune des parties, bonnes et mauvaises, mises en cause, certains aspects demeurant volontairement sous-développés dans ce premier exercice.
Par ailleurs, il est rare de rencontrer un document public de cet ordre contenant autant de fautes d’orthographe, d’erreurs typographiques et de lourdeurs stylistiques. L’éditeur a apparemment oublié les révisions linguistiques qui s’imposent avant l’étape finale de l’impression. On lit ce livre un crayon à la main et on peut s’amuser, en compensation parfois, de coquilles comme celle de l’enfant « confit » que l’on a confié – confus sans doute ! – « à la protection du village » OSVA.
Voilà qui clôt le dossier pour l’instant. Nous attendrons le second volet évoqué pour tirer de justes conclusions. [GHC]
- Source : L'ASFFQ 1990, Le Passeur, p. 106-110.
Références
- Sarfati, Sonia, La Presse, 11-08-1990, p. I 3.