À propos de cette édition

Éditeur
Guérin
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Les Saisons littéraires 2
Pagination
369-380
Lieu
Montréal
Année de parution
1995
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Claire et Jeanne étaient deux sœurs unies, que le passage à l’âge adulte a séparées. Après plusieurs apparitions impromptues de Jeanne en diverses circonstances dans la vie de sa cadette, celle-ci se sent envahie et de plus en plus angoissée. Malgré la présence réconfortante de son amoureux, la panique de Claire atteindra son point culminant au cours d’un voyage en Europe où elle réagira violemment contre le comportement révoltant de sa sœur, qui n’est autre… qu’elle-même.

Commentaires

Le procédé visant à introduire un récit dans le récit pour raconter l’invraisemblable est classique, mais encore efficace. Par contre, dans cette nouvelle, c’est comme si on avait oublié en cours de route les traits de caractère conférés à celui que l’on avait désigné comme narrateur, soit ce jovial paysan racontant ses ragots tout en fumant sa pipe, mais dehors, pour ne pas incommoder « la femme », comme il appelle lui-même sans trop de façon son épouse. L’observation des temps de verbe a donc vite fait de nous convaincre que l’histoire est narrée dans un style un peu trop recherché pour la mise en scène créée, avec des tournures telles : « comme si on lui eût fixé la nuque… » Le narrateur est tellement secondaire à l’histoire que l’on oublie d’ailleurs de revenir nouer la boucle avec lui, après la chute de la nouvelle, ce qui est sûrement mieux ainsi, pour laisser le lecteur sur la plus haute note d’intérêt.

Malgré ce petit détail, auquel s’ajoutent quelques détours moins utiles à l’intrigue, « Claire ou Jeanne » se lit bien. L’effet dramatique y est réussi. On sent grimper la tension grâce aux comportements du personnage principal, dont la psychologie est complexe et bien développée. Jeanne, la grande sœur, est présentée comme l’artiste, celle qui réussit tout, mais qui est condescendante et très critique à l’endroit de Claire. Jeanne est aussi celle qui séduit, un peu indécente, avec son parfum reconnaissable entre tous qui trahira sa présence dans le petit étal européen où la confrontation finale entre les sœurs aura lieu. Claire, de son côté, est plus terre à terre, c’est celle qui doute, qui craint, qui ne se sent à la hauteur que du lavage, du repassage. Celle qui « encaisse » tous les affronts sans broncher, mais en apparence seulement.

Et là vient le point intéressant du récit, celui où non seulement le lecteur additionne les indices sur ce qui a été dit au sujet de la famille de Claire, mais où il comprend qu’il devra diviser ce qui relève de la part de la personnalité de Claire qui se juge, de l’autre, qui veut profiter de la vie. On assiste ainsi aux variations dans les états d’âme d’une seule femme qui s’assume difficilement. À ce titre, et bien volontairement, l’auteure a jonglé plutôt adroitement avec quelques thèmes chers à Edgar Allan Poe, dont le dédoublement de personnalité, l’autodestruction, le retour sur le passé. Elle y a même ajouté sa touche féminine, avec l’amour comme puissant sentiment ayant permis de repousser le point de rupture jusque tard dans la vie du personnage, puisqu’il fait momentanément oublier tout le reste.

Denyse Giguère a par ailleurs longtemps fait marcher le lecteur sur le mince fil séparant l’improbable d’une explication plus rationnelle, avec ce personnage qui semblait d’abord solide, mais qui finit par s’isoler, avoir des troubles du sommeil, pour être la proie des hallucinations, visiblement, à la toute fin. Sa grande sœur le lui avait fait remarquer, aussi, qu’elle avait l’air bête de ceux qui pensent trop…

« C’est plus facile d’haïr sa sœur que sa mère, s’était entendu dire Claire, un certain soir. » Et c’est plus facile, sans doute, de détester sa sœur plutôt que soi. [MEL]

  • Source : L'ASFFQ 1995, Alire, p. 99-100.