À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
À l’automne 2000, 12 élèves de la polyvalente La Passerelle disparaissent les uns après les autres sans laisser de traces, malgré le fait que des policiers sont postés en permanence dans l’école. Quelques témoins parlent d’une porte, la 215, à travers laquelle les élèves manquants seraient passés. Pourtant, cette porte n’existe pas. Pedro Estrada prétend en avoir franchi le seuil et avoir été retenu prisonnier dans un endroit mystérieux où règne un maître spirituel nommé Mantos, avant de parvenir à s’échapper. Évidemment, personne ne le croit. La terreur se répand, professeurs et élèves fuient la polyvalente qui finira par être fermée. On ne saura jamais ce qui est arrivé aux jeunes disparus.
Vingt ans plus tard, les autorités décrètent la démolition du bâtiment décrépit. Ce sera l’occasion pour les anciens élèves de se rassembler et d’évoquer le souvenir des disparus. Entre-temps, le lecteur aura appris que les douze adolescents ont été recrutés par Mantos qui veut faire d’eux des êtres exceptionnels qui auront pour mission de guider l’humanité dans la bonne voie. Pedro, dont la vie n’aura été qu’une suite de déconvenues, voudra se jeter du haut du toit de l’école, mais une jeune femme qu’il a rencontrée autrefois dans le local 215 interviendra à temps pour l’en dissuader.
Commentaires
Trois auteurs ont collaboré à l’écriture de ce roman et cela paraît. Les changements de style et de niveau de langage sont évidents. On en retire l’impression qu’il n’y a pas eu coopération pleine et entière. Un plan général a certainement été établi mais on imagine sans peine que chacun des auteurs en a écrit un bout avant de le passer à l’autre. Trop de personnages (insipides pour la plupart, ce qui n’arrange rien) se pressent dans ce roman-savon ésotérique. De même, trop de trames différentes s’alignent sans se rejoindre, semblables à des tentacules de pieuvre flottant dans toutes les directions. À moins qu’on se satisfasse du fait que tous les protagonistes se retrouvent à la fin devant l’école condamnée. Le lecteur s’identifie difficilement à eux car ce sont avant tout des stéréotypes à la mode du jour. Vous avez la punkette, la directrice d’école devenue peintre, l’intellectuel, le scientifique, l’homosexuel de service, le religieux qui a fait de ses croyances son commerce, la femme d’affaires, etc.
Cependant, les auteurs ne se permettent pas de juger le moindre d’entre eux, sauf le pauvre Pedro ainsi que Célestin qui est un sceptique. Ces deux personnages sont traités avec un certain mépris et une certaine condescendance alors qu’ils sont les seuls, à mon avis, qui ont vraiment quelque chose à dire et qui se permettent de poser des questions. Les autres pratiquent une ouverture d’esprit benoîte qui est en réalité l’indice d’une pensée plus rigide et bornée encore que ne l’est celle d’une personne qui a simplement des opinions bien arrêtées. Pedro est un geignard mais ses doutes, son négativisme, son écœurement ne sont pas nécessairement dénués de tout fondement, mais, voyez-vous, dans la pseudo-spiritualité québécoise, on est plus dans l’acceptation que dans la critique. Je trouve suspect que l’on essaie de nous asséner cette manière de penser à une époque où, justement, il y a de plus en plus de choses inacceptables. Dans ce contexte, un personnage qui aurait pu s’avérer intéressant en vient au contraire à représenter ce qu’il y a de vil. Cela dit, même Pedro trouvera sa rédemption à la fin car, malgré tout, en dernière analyse, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. C’est le genre de roman qui appartient à la culture gnangnan dont parlait Robert Hughes dans son essai du même nom.
Le lecteur se heurte à une montagne de dialogues qui expliquent dans le menu tout ce qui s’est passé antérieurement au temps du roman lui-même, celui-ci échouant du même coup à faire avancer le moindrement l’intrigue principale. Ces pénibles entretiens se substituent à l’action à laquelle un lecteur ado serait en droit de s’attendre. Les auteurs désiraient probablement faire baigner leur récit dans une atmosphère de nostalgie. La deuxième partie, qui est censée narrer les dramatiques événements de l’automne 2000, tourne autour du pot en se concentrant surtout sur ce qui se produit dans le local 215. La Clef dans la porte contient bien quelques images ou scènes frappantes qui auraient pu déboucher sur quelque chose de bien si les auteurs ne s’étaient pas efforcés d’étouffer consciencieusement toute potentialité de terreur et d’angoisse sous une masse de bons sentiments, recherchant à tout prix le récit exemplaire et édifiant.
Les auteurs manifestent aussi une condescendance à faire hérisser le poil sur les bras. Les personnages d’un certain niveau social et intellectuel s’expriment dans une langue très châtiée et les autres en un joual forcé. Cela sonne faux dans les deux cas. De plus, les expressions populaires se fraient un chemin jusque dans la narration alors qu’elles devraient être confinées aux dialogues, ce qui enlève passablement de grâce à ce texte.
La Clef dans la porte est la conclusion d’une longue série. On dirait que le triumvirat Clermont-Julien-Lauzon a voulu réunir tous les acteurs des épisodes précédents dans une seule œuvre. Chacun des auteurs a peut-être tenu mordicus à conserver ses propres personnages. Cependant, ce n’est qu’une hypothèse de ma part pour tenter d’expliquer cet inutile foisonnement. Admettons tout de même que la troisième partie du roman est un peu plus intéressante et vivante que le reste, l’écriture est moins lourde, ce qui laisse supposer qu’il y a au moins un membre de ce trio qui possède vraiment la bosse de l’écriture.
Les auteurs ne résistent pas totalement à la tentation de moraliser. En outre, ils affichent une profonde tendance à l’angélisme et au messianisme de bas étage ainsi qu’une volonté absolue de faire la promotion de certaines valeurs. Si au moins leur thèse était intéressante et originale ! Ils versent au contraire, avec une absence totale de recul, de réflexion et d’autocritique, dans les habituelles niaiseries ésotériques que l’on retrouve malheureusement trop souvent dans des romans destinés aux jeunes.
« Ainsi parla Mantos », telle est la conclusion péremptoire des portions du roman où s’exprime ce prophète qui n’a pas grand-chose de transcendant à dire. C’est l’habituel salmigondis de grands principes socio-écologico-machin. Pourtant, sa parole est donnée comme irréfutable, vérités indiscutables de Grand Initié. En laissant croire qu’il puisse y avoir des êtres comme cela, les auteurs font preuve d’une dangereuse inconscience puisqu’ils préparent mentalement les jeunes lecteurs à devenir de la pâture pour sectes. D’ailleurs, cette séparation totale que subissent les écoliers d’avec leurs familles et le reste du monde pour devenir des guides de l’humanité, n’est-ce pas là une pratique courante dans certains groupes religieux ?
Ce n’est pas qu’il soit interdit d’utiliser des théories ésotériques ou parapsychologiques. Des auteurs comme King, Koontz ou Masterton ne s’en privent pas. Ce n’est pas non plus que la qualité d’une œuvre soit inversement proportionnelle au degré de foi de l’auteur. Cela n’a pas empêché C. S. Lewis, un chrétien convaincu, ou Tolkien, un catholique pratiquant, ou H. G. Wells, qui était socialiste, d’écrire de grands romans qui contenaient en filigrane ou sous forme allégorique leurs convictions. Ils étaient cependant de véritables écrivains, des enragés de littérature qui savaient faire la différence entre un pamphlet et un roman. [DJ]
- Source : L'ASFFQ 2000, Alire, p. 40-43.