À propos de cette édition

Éditeur
XYZ
Genre
Science-fiction
Longueur
Nouvelle
Paru dans
XYZ 30
Pagination
44-58
Lieu
Montréal
Année de parution
1992
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Antonio Mercedes-Peruva assiste à un concert dirigé par le chef d’orchestre de réputation mondiale, Wilhelm von Henrich. Transporté par la musique, l’esprit de ce spécialiste de l’intelligence artificielle en vient à établir un réseau de coïncidences troublantes dont l’élément déclencheur est cette ressemblance physique étonnante entre les deux hommes.

Commentaires

J’ai découvert la musique classique par le film de Ken Russel sur la vie du compositeur russe Tchaïkovski, La Symphonie pathétique. Une véritable révélation. Plus récemment, le Amadeus de Milos Forman m’a comblé d’aise. Mais jamais auparavant, je n’avais lu un texte de fiction à ce point imprégné de l’amour de la musique, qui en transmet la sensibilité et la beauté tout en faisant ressortir sa formidable capacité à susciter des émotions fortes et à faire ressurgir des images du plus profond de la mémoire.

La nouvelle de Jean Fisette épouse les différents mouvements de la symphonie n° 3 en mi bémol majeur de Beethoven, dite l’Héroïque, avec une telle virtuosité que je n’hésiterais pas à en recommander la lecture à tous les étudiants du Conservatoire de musique du Québec. Désormais, ce texte sera associé pour toujours dans mon souvenir à l’œuvre musicale de Beethoven.

Mais « Clonages » est bien plus qu’un texte qui témoigne de la passion de son auteur pour la musique. C’est aussi une pénétrante réflexion sur l’intelligence artificielle, sur les progrès de la science mathématique qui prétend réduire le monde et l’art à une équation. Peut-on ramener tout le génie musical de Beethoven à un canevas de quelques portées ? Mais l’art, qui bénéficie parfois de l’aide du hasard, est plus fort que tout. Ainsi, la surdité naissante de Beethoven ne l’a-t-elle pas amené à concevoir des accords nouveaux au moment de l’écriture de la symphonie n° 3 ?

La nouvelle de Fisette est construite comme un thriller intellectuel, à la façon du roman d’Umberto Eco, Le Nom de la rose. Le contenu en est extrêmement riche et sollicite constamment notre curiosité. L’auteur nous donne le goût de connaître la vie de Beethoven dont il ne nous livre que de minces bribes, tout comme celle de son ami Maelzel qui a tenté de le soustraire à sa surdité en fabriquant des cornets acoustiques.

Je me méfie des écrivains universitaires qui nagent dans la théorie à cœur de jour. Leurs textes restent souvent des exercices académiques arides et abstraits. Chez Fisette, qui est sémioticien, il est clair que son expérience théorique du discours narratif a fécondé sa prose et enrichi sa réflexion. Sa nouvelle constitue un brillant exercice littéraire qui n’est pas sans rappeler l’une des rares nouvelles d’André Belleau, « Le Fragment de Batiscan ». Le sens est tellement foisonnant qu’il faut plusieurs lectures pour saisir le fil conducteur qui relie ces faits apparemment disparates les uns aux autres. Ça commence par un intrigant automate joueur d’échecs fabriqué par le baron von Kempelen au XVIIe siècle et ça se termine par une expérience informatique ratée de vinification au Brésil.

Le clonage évoqué dans le titre – malheureusement banal et trop explicite – ne représente qu’un élément parmi d’autres mais tout comme dans la SF allusive de Bertrand Bergeron, il est indispensable parce qu’il s’inscrit dans une perspective historique qui remonte au moins au XVIIe siècle.

Le thème majeur de « Clonages » est en fait l’ambiguïté ou le paradoxe dont le personnage principal, Antonio, est l’illustration parfaite. Produit d’une expérience de clonage réalisée par les Nazis en 1944 et spécialiste de l’intelligence artificielle, il se montre capable de ressentir des émotions et d’être froidement calculateur quand il s’agit de ses intérêts personnels. Humain, en somme, terriblement humain… [CJ]

  • Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 76-77.