À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Thériault, le narrateur, fait en 1914 la connaissance de James Freeman, son voisin de logement, qui vit avec sa fille, Louise. Des visiteurs viennent chaque jour voir Freeman et repartent après une longue conversation avec lui, une toute petite boîte sous le bras. Le narrateur est persuadé que Freeman est un escroc. Un jour, Louise vient lui demander de l’aide : son père est malade. Une fois chez eux, il se rend compte que Freeman est aveugle, mais ce qui le trouble plus encore, c’est de constater par la suite qu’il est attaché sur sa chaise, lorsque Louise coupe les bandelettes et les fils qui le soutenaient. Quand il le soulève, le corps est étonnamment léger, et mou.
Le narrateur nous apprend dans l’épilogue que Freeman lui a dit avoir travaillé dans un cirque parmi des phénomènes de foire. Mais jamais comment il est devenu aveugle ; il parle parfois de « châtiment » en relation avec un meurtre crapuleux dont les protagonistes ne sont jamais identifiés. Sa cécité était-elle délibérée ? C’est aussi ce qu’il suggérait. Mais il a dit surtout que, désirant le noir absolu, il s’est endormi, et s’est réveillé dans un coffre : « J’étais disparu mais j’existais encore. Plus personne pour me voir. » Le narrateur saute à son présent, l’Allemagne de 1939, en remarquant que beaucoup veulent y échapper à un pouvoir abusif. Et qu’il les y aidera, avec Louise : « Nous leur donnerons un coffre. »
Commentaires
Également inspiré par le thème du numéro spécial d’imagine…, Décollages (écrire seulement le début et la fin d’un roman rêvé), « Le Coffre » est un beau texte bref, qui transcende la contrainte imposée pour… s’imposer en lui-même, sans référence à un quelconque exercice d’écriture. Énigmatique et grave, c’est une épure où le dit et le non-dit sont dosés avec une délicatesse et une sûreté exemplaires. Le coffre de la finale renvoie aux boîtes du début, qui renvoient au corps étrange de Freeman puis aux déclarations de l’épilogue, suscitant en un éclair une deuxième lecture où passe, souligné par la précision sur l’époque de la finale (l’Allemagne de 1939…), le frisson du fantastique.
Peut-être ce texte répond-il à une autre exigence littéraire, qui s’adresse bien aux auteurs cette fois et non aux lecteurs de Décollages : celle qui demande à un texte d’être un tout où début et fin se répondent d’une manière subtile, et où la finale semble la seule possible et satisfaisante à cause du réseau d’indices semés dans tout le récit. C’est ce qu’accomplit parfaitement le texte de Lamontagne : on peut dire que toute la thématique du roman ellipsé se trouve dans la scène du début, et la lecture peut aisément imaginer les autres étapes, les autres images, qui feront passer de la boîte au coffre et retour, tout comme les éventuelles péripéties qui relieront thématiquement le corps du phénomène de foire, ce marginal, rejeté, dissident aux corps menacés de tous ceux que l’Allemagne nazie voulait épurer.
Après avoir lu ce texte, on regrette une fois de plus que Michel Lamontagne n’écrive pas davantage… mais s’il peut faire tenir tout un roman rêvé dans une nouvelle aussi brève, pourquoi s’encombrer de romans ? [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 99-100.