Résumé/Sommaire
William Rostchildren est un asocial. Il vit à New York loin de ses parents, hanté par ses souvenirs d’enfance où son frère aîné Rémi, mort dans un accident d’avion, occupe une place prépondérante, ainsi que leur oncle richissime antiquaire, Edgar Rostchildren, fort laid et pourvu d’un énorme comédon. La mort suspecte de l’oncle amène William à plonger dans ses souvenirs (et à hériter du comédon qu’il a extrait enfin dans un geste d’exaspération à la morgue). L’oncle est lié pour lui au souvenir du grenier, lieu privilégié des jeux des deux frères, et surtout à une curieuse lampe ayant appartenu à un marin et source de manifestations étranges : lumières, voix et surtout, lors d’un épisode qui a particulièrement marqué William à douze ans, apparemment clé des portes du grenier ouvrant soudain sur des autres mondes bien réels, une plage lointaine, le fond de la mer et des galions engloutis, et un lieu d’où arrive un horrible monstre qui dévore presque William.
Rémi, un surdoué qui semble par ailleurs posséder des pouvoirs étranges ainsi que des dons d’hypnotiste, a réussi à lui faire croire qu’il avait rêvé, puis, plus tard, qu’il était schizophrène et vivait dans le monde de son imagination, de sorte que sa mort, treize ans plus tôt, a laissé William incertain à jamais.
L’enquête sur la noyade de l’oncle Edgar amène William à rencontrer l’inspecteur Mourhu, aux méthodes curieuses mais efficaces, qui le force à sortir de sa coquille. Mourhu prouve bientôt que la noyade est bel et bien un meurtre. Il soupçonne assez vite un ami du mort, Edward Witworth. Son enquête l’emmène à Londres, où il rencontre une étrange jeune femme, Suroh, qui semble liée à des vols commis dans les magasins de l’oncle, et qui l’hypnotise. Puis le testament de l’oncle fait de William son seul héritier.
William est bien mal placé pour gérer un tel empire, d’autant que manque la formule secrète du vernis à meuble unique qui a fait la renommée et la fortune de l’oncle. Mourhu démontre la culpabilité de Witworth, qui est arrêté. Là-dessus, la tante Berthe (considérée par William comme responsable de la mort de Rémi, qu’elle avait invité aux Bermudes dont il revenait dans l’avion accidenté) meurt dans une explosion de gaz à Londres, et William se retrouve suspect, puis accusé. Le procès a lieu, mais Mourhu, persuadé de l’innocence de William, finit par démontrer – en achetant le témoignage d’un jeune vendeur de journaux – qu’il s’agissait en fait d’un accident dû à l’électricité statique.
Libéré, William continue à s’occuper plutôt mal que bien des affaires de sa compagnie que tous ces événements ont fait péricliter. Lors d’une vente aux enchères à laquelle un message anonyme a conseillé à William d’assister, la mystérieuse Suroh reparaît pour essayer d’acheter un meuble que William veut aussi acquérir. Mourhu essaie alors de capturer Suroh mais elle réussit à s’enfuir malgré le cordon de police. Dans le meuble se trouve la formule du vernis de l’oncle, mais c’est un peu trop tard pour sauver la compagnie.
Le père de William est soudain assassiné d’une balle dans un œil par une femme inconnue. La mère hystérique de William lui déclare que c’est Rémi. William est tenté de la croire. Commence à se faire voir de plus en plus souvent dans les témoignages des uns et des autres, réinterrogés sous hypnose par Mourhu, un adolescent d’une quinzaine d’années dont le signalement correspond à celui de Rémi. Il ressemble d’ailleurs aussi curieusement à l’adolescent que les parents de William s’apprêtaient à adopter. Il appert ensuite que Witworth, comme les témoins de la mort de la tante Berthe, a été hypnotisé : il a tué Rostchildren sous compulsion, comme la logeuse de la tante a arrangé la fuite de gaz. Ruiné, et de plus en plus certain que Rémi est là-dessous malgré le fait qu’il n’aurait pas vieilli depuis treize ans, William entre en réclusion pour réfléchir, avec un livre de poésie dont son frère est l’auteur et qu’il croit central aux énigmes ; sur la couverture se trouve un faucon à l’œil percé de coups d’épingle. William a lui-même l’œil gauche infecté, une infection qui s’aggrave ; son œil devient rouge. Mais la fièvre cesse soudain, tandis que ses yeux subissent des transformations étranges. L’acuité de tous ses sens augmente. Puis la fièvre revient et il plonge dans les cauchemars dont il est coutumier. Il y est entre autres victime d’un faucon, mais le dernier rêve lui laisse une impression de libération.
Quand il se réveille, il sent qu’il commence à comprendre. Il en fait part à Mourhu et se rend dans la maison d’enfance – aiguillonné par un message clairement envoyé par Rémi. Là, il rencontre bel et bien son frère, qui lui explique tout : le père, la tante et l’oncle étaient des trafiquants de drogue, de pornographie enfantine et de faux meubles, et Rémi a entrepris de les châtier ; c’est lui le responsable de tous les mystères, faux et meurtres. Mais c’est aussi que William et lui, et leur famille, ne sont pas des êtres humains mais des entités immatérielles, et même une seule et unique entité qui se divise, manifestation de l’imagination, la folle du logis, capable de s’incarner dans le monde pour y jouer, pour y jouir de l’EXPÉRIENCE ; démoniaque, comprend William, mais c’est Dieu qui est le mal : la vie toute faite, béate et neurasthénique du Paradis. Furieux d’avoir été joué tout du long par Rémi, entre-temps métamorphosé en boule de feu, William se métamorphose à son tour et produit une déflagration qui détruit la maison. Refusant d’expliquer à Mourhu ce qui s’est passé, il s’en va.
En épilogue, Mourhu explique qu’il a reçu les pages qui précèdent de William lui-même, mais qu’il ne le croit pas et qu’il est au contraire tenté de croire que William, psychopathe génial à l’inconscient chargé, a tout manigancé. Il est cependant obligé d’avoir recours à des explications que lui-même trouve tordues pour expliquer certains aspects de l’affaire et conclut sur son incertitude à conclure.
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Commentaires
La quatrième de couverture annonce qu’on ne peut lâcher ce livre avant d’en avoir lu la dernière ligne. C’est assez vrai : je l’ai lu quant à moi la première fois avec un certain amusement incrédule. L’un des jeux des deux frères consiste à reconstituer le couple Holmes-Watson (Rémi est Holmes), et ma foi, il y a dans ce livre quelque chose d’un Conan Doyle sur l’amphétamine (et quelques autres substances illégales, comme le LSD). L’écriture en étant plus que correcte, efficace et souvent drôle, j’ai donc décidé de me laisser promener par les rebondissements hénaurmes de l’histoire aux surcomplications assez réjouissantes, choisissant d’y voir une parodie aimante. Les cauchemars de William, les visitations bizarres surgies des portes et les voyages délirants effectués avec Rémi dans les mondes auxquels elles donnent accès, quoique tous un peu longuets, introduisent un cachet de fantaisie surréaliste fort bienvenu. Le mélange des genres, par ailleurs, est bien mené : policier, suspense, fantastique, psychologique… Et de fait, comme l’annonce également la quatrième de couverture, la voix souvent désinvolte et acide apparaît comme agréablement humoristique. D’ailleurs, le nom transparent de l’inorthodoxe et sympathique inspecteur Mourhu n’invite-t-il pas à cette lecture ?
J’ai donc traversé sans frémir, mais en souriant, les multiples coups de théâtre, les cauchemars, les longs dialogues, les interrogatoires, le procès de William : l’écriture en est toujours assez leste pour que l’impatience ne soit qu’un léger frémissement constant, jamais une ébullition agacée – la parodie, me disais-je, est presque réussie : non seulement Conan Doyle mais, ma foi, Stevenson (des cartes, des schémas, des diagrammes !) et les feuilletonistes français fous du début du XXe siècle… Les choses ont commencé à se gâter vers la fin, quand l’œil du père, l’œil du faucon – Horus/Suroh – et l’œil de William ont commencé à se lancer dans une valse à échos psychanalytiques un peu trop lourds. La confrontation finale avec Rémi a intensifié mon inquiétude ; et quand les Démons sont arrivés, avec l’EXPÉRIENCE et la CONNAISSANCE en majuscules…
Cette histoire était-elle vraiment à lire au deuxième degré ? On basculait soudain dans des considérations métaphysico-fumeuses avec ce qui semble une absence totale de clins d’œil… Se pouvait-il – ciel ! – qu’on eût affaire ici, en réalité et malgré toutes les pirouettes, à un récit « hétéroclite », au sens de Pierre Versins : dont l’auteur raconte le même genre de choses que la SF, le fantastique et/ou la fantasy, mais y croit ? L’épilogue, où Mourhu dégonfle systématiquement les grandes envolées imaginatives auxquelles on a assisté jusque-là, a l’effet curieusement inverse, et semble à la fois une dernière pirouette ratée et une malhonnêteté inutile de l’auteur, qui aurait pu tout aussi bien inclure cette interprétation « psycho-réaliste » des faits dans le corps du récit sans faire de celui-ci un roman de William, mise en abyme coquette qui m’a soudain rappelé inopportunément que l’auteur est professeur de littérature – j’avais réussi à l’oublier malgré les dissertations sur la poésie de Rémi (affligeante et donc drôle au second degré… mais qu’en est-il s’il faut la prendre au premier degré ?)
Je dois avouer aussi et enfin, pour éclairer ma seconde lecture de ce livre, que j’ai entre-temps de surcroît rencontré l’auteur dans un Salon du livre, et que celui-ci semble bel et bien prendre son texte et ses idées très au sérieux. Il annonce d’ailleurs une suite au Comédon. J’envisage cette éventualité avec une once de curiosité et quelques kilos d’inquiétude. [ÉV]
- Source : L'ASFFQ 1993, Alire, p. 111-113.
Prix et mentions
Grand Prix littéraire de la Ville de Sherbrooke 1994
Références
- Bayle, Françoise, Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec IX, 176-177.