À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Marjolain est fébrile aujourd’hui. C’est la Saint-Valentin et il veut cuisiner un souper gastronomique pour son amoureuse, Véra. Alors qu’il s’apprête à préparer LE dessert fétiche du couple, il apprend qu’il n’y a pas de fraises disponibles. Marjolain fait appel à sa mère qui ne peut le dépanner. Il se rend alors au gigantesque pavillon alimentaire du complexe gouvernemental de Pleumour dans l’espoir de trouver des fraises pour son dessert. Il est consterné de constater que la coupole renfermant le spécimen de fraise est vide. Résigné, il rejoint Véra dans une chambre d’hôtel de la banlieue où elle lui a donné rendez-vous. En chemin, il s’arrête dans une boutique ancienne où il achète un bouquet de roses jaunes. Rendu dans la chambre, Marjolain aperçoit la fraise étalon dans la main de Véra. Au moment où le couple partage le fruit défendu, les soldats font irruption dans la pièce.
Commentaires
Il s’agit d’un texte qui fait à peine la longueur d’une nouvelle et qui est publié tête-bêche avec un autre petit récit, d’une Française nommée Nicole Vidal. Compte à rebours coiffe les deux textes, celui de Benoit LeBlanc étant sous-titré TRE 22660. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est le code de la fraise qui, comme beaucoup d’autres fruits, légumes ou denrées alimentaires, est devenue un spécimen très rare conservé dans un entrepôt sous haute surveillance militaire. Ce qui n’empêche pas certains vols d’avoir lieu, comme ce fut le cas pour la banane royale.
La nouvelle débute sur un ton badin. L’énervement de Marjolain semble disproportionné quand il apprend qu’il ne pourra se procurer des fraises pour préparer le dessert fétiche qu’il veut partager avec Véra. C’est à ce moment que commencent à apparaître les traits qui caractérisent le monde dans lequel vit Marjolain. L’état de la planète est tel – les océans ont disparu, asséchés par l’atmosphère – que tout ce qui relève de l’alimentation est produit génétiquement en laboratoire. « Il n’y a plus qu’un seul étalon naturel par type de fruit ou de légume. Ainsi, ils sont moins fréquemment utilisés à des fins de reproduction. Trop fragiles. On en détient bien la configuration informatique, mais la vérification auprès des étalons de base est obligatoire et exige un temps énorme. » Ce qui explique les pénuries.
Plus tard, dans la boutique ancienne située en périphérie, Marjolain découvre des plantes cultivées par un vieux couple, ce qu’il n’avait jamais vu auparavant. Il ne connaissait évidemment pas la variété de fleurs qu’il achètera, des roses. Petit à petit, donc, l’aspect sombre de la société se manifeste. Le ton anodin, presque enfantin du début, fait place au drame qui surgit de façon inattendue et prend la forme de deux révélations stupéfiantes qui laissent le lecteur sous le choc : Véra est une androïde et elle vient d’apprendre qu’elle sera envoyée à la casse aujourd’hui même. C’est pourquoi elle a osé dérober la fraise étalon qu’elle partage avec Marjolain dans un dernier geste avant d’être éliminée avec son amoureux par les soldats qui font irruption dans la chambre de l’hôtel.
Comparés à cette formidable montée dramatique, quelques détails apparaissent moins convaincants ou relèvent tout simplement de l’arbitraire. Ainsi, le lecteur apprend que les congés fériés ont tous été abolis et que les fêtes ont été réduites à deux. La Saint-Valentin est maintenant associée au 1er avril et le 25 décembre correspond à l’Halloween. La raison de ces changements de paradigme n’est jamais évoquée. De même, la relation peu cordiale de Marjolain avec sa mère n’est pas davantage expliquée ou motivée.
L’autre atout majeur du texte repose sur la volonté de l’auteur de casser certains stéréotypes associés au personnage du scientifique. Ingénieur en robotique et petit génie précoce de l’invention, Marjolain affiche son romantisme dans sa relation amoureuse avec Véra malgré les moqueries de ses collègues de travail qui ne penseraient pas à prendre congé pour préparer un souper d’amoureux. La fin de la nouvelle est, en ce sens, un ultime acte d’amour et de liberté.
Certes, je n’avais aucune attente face à ce texte mais je dois dire que j’ai été agréablement surpris. [CJ]
- Source : L'ASFFQ 1994, Alire, p. 104-105.
Références
- Meynard, Yves, Lurelu, vol. 18, n˚ 1, p. 36-37.