À propos de cette édition

Éditeur
Publications Poirier, Bessette & cie
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
Le Samedi, vol. VI, n˚ 51
Pagination
4-5
Lieu
Montréal
Date de parution
25 mai 1895

Résumé/Sommaire

Il avait trouvé bien naïves les craintes de ses amis et, en homme robuste qu’il était, il avait ri des revenants. Mais seul sur le chemin du retour dans cette nuit de novembre, bien loin de sa demeure, il croise un funèbre cortège composé de fantômes, d’elfes et de gnomes horribles. À la suite des remontrances du fantôme conduisant la procession, tous lui administreront un terrible soufflet avant de disparaître…

Commentaires

Le ton de ce « Conte fantastique », signé Delagny, est on ne peut plus mélodramatique. Presque malgré nous, à sa lecture, s’imposent les accents traînants et morbides d’un orateur à la voix profonde et grave narrant cette triste complainte comme s’il s’agissait d’une ode à la mélancolie. D’ailleurs, la construction de ce texte n’est pas sans rappeler les rythmes lancinants d’une certaine poésie du temps : « Il allait dans le bois sombre, loin, bien loin de sa pauvre demeure… »

L’intrigue, cependant, demeure simple. Il s’agit essentiellement de démontrer qu’il ne faut jamais prendre à la légère tout ce qui touche l’au-delà, particulièrement lors d’une certaine nuit de novembre où, selon la croyance, « les mânes des défunts rôdent autour des demeures en quête de prières pour leur âme souffrante ». Notre homme, qui a balayé du revers de son sarcasme cette légende, paie chèrement le prix de son sacrilège. Non seulement est-il témoin d’un spectacle qualifié d’horrible – nous y reviendrons – et reçoit-il une vexation de tous les êtres composant la procession, mais il semble aussi condamné à l’exil éternel, puisque le texte se termine comme il débute, alors que l’homme continue à « marcher dans le bois sombre, loin, toujours plus loin de sa demeure, seul avec le grand ciel nuageux, marchant sur le sol glacé, pareil à un suaire sans fin !! » Il n’y a pas à dire, les défunts, selon Delagny, n’entendaient pas à rire en cette fin de XIXe siècle !

Mais revenons à ce cortège « dans lequel on remarquait des elfes, des gnomes enfouis dans de ténébreuses gandouras faites de nuages fugitifs… », et voyons la description que fait Charbonneau de ces créatures surnaturelles : « Leurs yeux [les fantômes] disparaissaient sous de longs cils noirs, yeux de démons, brillants comme un coup de feu dans des broussailles ; puis comme un souffle fantastique, ils suivaient en cadence le fantôme pâle, toujours majestueux dans la nuit ! Les gnomes avaient la tête recouverte de burnous rouge feu, ce qui leur donnait l’aspect de petits lutins horribles, laids et peureux. Ceux-ci marchaient immédiatement après le fantôme, encensant ce dernier. Puis venait le cortège des longs suaires, vagues, apparaissant comme un songe auquel se mêlait de temps en temps la lune aux pâles reflets. Un nuage blanc entourait le cortège, et un parfum âcre, mauvais, s’exhalait de la bouche puante des fantômes. C’était horrible ! » On imagine la frayeur du pauvre diable devant ce spectacle, alors qu’il est perdu dans la campagne nocturne et lentement enseveli par la neige qui s’est mise à tomber !

« Conte fantastique » est le seul texte du genre de Jean Charbonneau. S’il nous apparaît bien peu « épeurant » cent ans plus tard, nul doute cependant qu’il a dû frapper vivement l’imagination des lectrices et lecteurs du Samedi à sa parution. [JPw]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 52-53.