À propos de cette édition

Éditeur
Les Intouchables
Genre
Fantastique
Longueur
Novella
Format
Livre
Pagination
144
Lieu
Montréal
Année de parution
1998
ISBN
9782921775595
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Gaston Malheur et Ti’Shishé s’aiment violemment. Ils se mordent et se lacèrent à la lame de rasoir quand ils s’unissent. Après s’être fait respectivement émasculer et exciser, ils vont voir le docteur Cornélius qui leur implante des organes génitaux métalliques aux pouvoirs explosifs pour l’un, et dévoreurs pour l’autre. Étant insatiables et tuant leurs proies sexuelles qu’ils finissent par dévorer, ils doivent quitter de plus en plus la civilisation pour la jungle. Leurs appareillages se rouillent à l’humidité et ils se fondent de plus en plus avec la matière en décomposition. Ti’Shishé se retrouve chez le docteur Cornélius qui la recouvre d’écailles, remet en fonction les organes internes, la munit d’ongles d’acier et de dents en minéral ; cependant, il ne peut lui faire recouvrer la vue.

Malheur est récupéré par une tribu dont le sorcier lui fabrique un sourire de requin, lui greffe des aiguilles acérées et des griffes. Aucune femme ne survit à ses embrassades. Il s’enfuit et retourne sur l’île où il a vécu avec Ti’Shishé et la retrouve. S’apercevant qu’il ne peut l’approcher sans la dévorer, il la quitte pour le monde de la noirceur et de la putréfaction. De son côté, elle tente de le faire revivre grâce à ses rêves.

Références

Si vous aimez les histoires roses et les fins heureuses, ne lisez pas ce roman. Tout y est écrit pour provoquer, on y donne généreusement dans la scatologie. L’obsession de la mort, du sang et de la putréfaction y est constante : Freud dédierait ce livre à ceux qui font une fixation sur les phases anale et orale. Le plaisir est dans la matière, dans sa manipulation, dans sa possession violente. De plus, les personnages désirent se fondre en elle en reniant l’esprit : le Ça met K.-O. le Surmoi qui l’empêcherait de jouir aussi marginalement. On y cherche le primitif ; on y tue le verbe, probablement parce qu’il est représentation de l’intellect. Lisez vous-mêmes : « Même les divagations pourtant inégalées du Marquis [de Sade, bien sûr] ne sont pas satisfaisantes. […] Trop de civilisation. Pas assez d’air. Il faut […] imaginer des débauches préhistoriques où mâles et femelles couverts de scarifications aux évocations monstrueuses se reniflent le cul, se culbutent et s’assomment à coups de massues, s’enculent sans discernement, non par perversion mais par ignorance. »

Il n’y a que le cerveau reptilien qui peut trouver son compte dans ce livre. Cependant, malgré la volonté d’échapper à la civilisation, c’est celle-ci qui vient au secours des deux cyborgs, leur permettant de prolonger leur quête sexuelle obsessive : par les expériences médicales et scientifiques et par la sorcellerie, deux domaines essentiellement culturels, même s’ils sortent, dans ce cas-ci, des normes éthiques admises. L’univers romanesque déployé correspond bien à l’imaginaire chtonien tel que décrit par Gilbert Durand dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire et aux études de Gaston Bacherlard, La Terre et les rêveries de la volonté et La Terre et les rêveries du repos.

Je ne sais si ce roman a servi de thérapie à son auteur – un écrivain spécialisé jusqu’ici en littérature jeunesse qui en avait peut-être assez de contraindre ses fantasmes et qui a voulu s’éclater –, mais on y sent un profond ennui pour les relations humaines : « La simplicité des mœurs sexuelles de ses congénères, prisonniers de leur morphologie, de leur alimentation, de leurs diplômes, de leurs premiers pipis au lit, n’autorise pas des performances grandioses. » La recherche de grandiose et d’extraordinaire est omniprésente et s’étend jusqu’à l’accouplement des dinosaures : fi du quotidien et de ses petitesses ! On n’y découvre aucune nuance ou retenue : il n’y a de valeur que dans l’action intense ou la sensation extrême, traduisant ainsi une tendance de la société contemporaine à être facilement blasée et à rechercher les sensations fortes afin de se prouver à elle-même qu’elle est bien vivante. Ce n’est pas, non plus, sans rappeler certains côtés de la trilogie gigantesque de Rabelais, dans un ton beaucoup plus morbide et sordide. Dans le genre macabre, ce roman n’est pas dénué d’une certaine poésie, surtout dans les délires oniriques du personnage féminin. Pourtant, on peut aussi y périr d’ennui tant la recette s’étend jusqu’à la dernière goutte de la fusion finale. [AL]

  • Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 53-55.