À propos de cette édition

Éditeur
Z-25
Genre
Fantastique
Longueur
Roman
Format
Livre
Pagination
219
Lieu
Montréal
Année de parution
1992
ISBN
298028050X
Support
Papier

Résumé/Sommaire

Bador, ville menée par un maire et son équipe, a dans son voisinage un dépotoir où s’entassent les parias qu’elle rejette ainsi que les produits de consommation qu’elle y évacue sans faire l’effort de les recycler. Alain, venu on ne sait d’où, s’installe dans ce dépotoir après une lutte physique pour se tailler un espace vital. Son pouvoir assis, il commence à récupérer le bois jeté pour en faire des meubles. Sa petite entreprise s’adjoindra un personnel fidèle et compétent puisé dans le milieu. Son entrepreneurship lui mérite le respect de ses concitoyens prolétaires qu’il conduira peu à peu à se structurer. Au fil des ans, grâce au charisme éclairé de ce leader naturel, les « dépotoiriens » se dotent d’un gouvernement relativement électif, de lois, d’un système monétaire, de routes, d’écoles, d’hôpitaux, d’un journal, de manufactures, etc. et… d’églises. Les destinées de cette population seront prises en charge par Alain qui en deviendra le roi et même l’objet de culte, le dieu vivant local.

Pendant ce temps, Bador continue à vivre dans l’insouciance et le gaspillage de ressources malgré un changement de représentants à la mairie. Les Badoriens, apolitiques selon le narrateur, se contentent en somme de voter pour qui leur permet de changer de nom et de bancs publics le plus régulièrement possible. Cette absence de préoccupations sociales sérieuses, cette culture de la futilité feront qu’ils seront, une nuit, envahis par la soldatesque « dépotoirienne » qui les conquerra en un tournemain et les réduira désormais à l’obéissance au roi-dieu Alain.

Commentaires

Le roman d’Emmanuel Bissainthe ne fournit guère spontanément de détails sur son cadre spatio-temporel. À peine apprend-on que les campagnes environnantes alimentent par d’occasionnelles migrations de ruraux la population de Bador et de son dépotoir. Ailleurs, sait-on plus tard, sur un lointain continent asiatique (p. 182), une ville est disparue à la suite d’une guerre nucléaire. Les Badoriens possèdent également un arsenal de ce type, une armée, une police, des chaînes de télévision et de radio, des restaurants, des cinémas, des vendeurs d’auto, des magasins, un seul hôpital, un système monétaire local et une loterie, en plus des services municipaux où le personnel clérical est surtout féminin, compétent en cuisine et disponible pour les fantaisies sexuelles de ses dirigeants.

Ce sont là à peu près toutes les références qui permettent de situer Cornélius le poète maudit comme une transcription assez peu distanciée de notre époque et de notre société de consommation occidentale (et même québécoise, puisque l’auteur emploie à au moins deux reprises le terme « frigidaire » !). Le lien essephe (SF) demeure donc ténu et réside surtout dans le fait que Bador et son dépotoir seraient un univers sans contacts avérés avec le reste de la planète. La ville n’en a guère plus avec son dépotoir puisqu’elle ignore, des années durant, les transformations sociétales et matérielles de son voisin immédiat (ce qui, en soi, est peu vraisemblable). Il s’agit d’un monde clos (mais on y mange quand même des mets exotiques (p. 181) inspirés on ne sait d’où).

Le récit de Bissainthe est composé de onze chapitres non numérotés entre lesquels sont enchâssés dix poèmes – bien près de la prose à cause de leur faible niveau métaphorique – dont chaque contenu se veut en rapport avec la fiction qui le suit. Ces dix insertions épigraphiques sont signées Cornélius (un onzième texte poétique, de mouture équivalente aux autres, est cependant intégré au premier chapitre et paraphé Do-Ré-Mi) et constituent le seul rapport explicatif avec le titre du livre.

Si le narrateur se montre relativement discret dans les premières divisions, il l’est beaucoup moins vers la moitié du livre et il devient bien bavard jusqu’à la fin. Il s’identifie par ailleurs très ouvertement : il s’agit de Bissainthe lui-même qui se permet à un moment donné de téléphoner, à deux reprises, à l’un de ses multiples personnages secondaires – il le menace alors de le faire disparaître du récit (p. 180) – pour lui faire préciser une information. Ce double aparté est sans doute le procédé de dérision le mieux réussi du livre – quoique cette intervention forme cependant contradiction avec une assertion antérieure du narrateur qui prétend qu’il n’a pas « engendré » le personnage d’Alain.

On peut probablement envisager l’ensemble du volume comme un processus de dérision du code littéraire. C’est là une hypothèse qui rend hommage malgré tout à l’écrivain-narrateur, mais son inhabileté manifeste à se moquer subtilement du genre qu’il emprunte peut amener aussi le lecteur ordinaire à considérer plus simplement Cornélius le poète maudit comme un roman péniblement raté.

L’ouvrage n’a pas été nettoyé de ses longueurs et on doit estimer qu’au moins quatre chapitres pourraient disparaître sans nuire à la conclusion par trop prévisible. Bien des passages ne servent, somme toute, qu’à permettre à Bissainthe de régler ses comptes avec la société et n’ajoutent à peu près rien à l’action amorcée, étant faiblement en rapport avec l’intention présumée du récit, du moins ce qui en reste cohérent. Son ironie maladroite s’exerce notamment sur l’infantilisme des consommateurs (contemporains, rappelons-le), le gaspillage de biens qui en résulte, la vacuité intellectuelle de l’individu moyen, les mauvaises habitudes alimentaires, les congrès stupides sur tout et sur rien, les loteries qui permettent de rêver, les honneurs factices, les manies et la légèreté des femmes, l’exercice arbitraire du pouvoir, etc. (Où chercher alors la science-fiction ?) Des plumes plus aguerries réussissent mieux avec la même volonté de dénonciation.

D’autre part, l’écrivain ne maîtrise pas adéquatement le code linguistique. On relève aisément fautes d’orthographe (confusions fréquentes entre le participe passé en «-é » et l’infinitif des verbes du premier groupe, notamment), problèmes de concordance des temps, impropriétés, imprécisions, métaphores figées, erreurs de référents, de marqueurs, etc. On constate également un coq-à-l’âne qui se multiplie à en devenir irritant et qui assassine les efforts de transition engagés.

Que dire aussi des invraisemblances qui se répètent ou des errements étonnants sur le plan structurel (l’auteur-narrateur poursuit plus tard certains propos entrepris dans un chapitre antérieur) ? Faut-il souligner finalement que la reprographie de l’œuvre diminue systématiquement en qualité et que les dernières pages s’avèrent difficilement lisibles ? (C’est comme si le ruban n’avait pas été changé au cours du travail d’impression du manuscrit !)

C’est beaucoup de défauts pour un seul livre, dira-t-on, mais le roman, tel que ficelé, ne s’attire pas la sympathie de son lectorat potentiel. L’ouvrage est bien en deçà des attentes suscitées par le bref commentaire de la quatrième de couverture qui laisse croire à une écriture mordante au service d’un récit-choc. Malgré ses prétentions, il n’y a rien de nouveau sous le soleil… avec ce texte de Bissainthe. [GHC]

  • Source : L'ASFFQ 1992, Alire, p. 24-27.