À propos de cette édition

Éditeur
La Revue canadienne
Genre
Fantastique
Longueur
Nouvelle
Paru dans
La Revue canadienne, vol. XXI
Pagination
589-596
Lieu
Montréal
Année de parution
1895

Résumé/Sommaire

Jacques Ledur est un paysan de tempérament bourru et difficile. Marié et père de nombreux enfants, il mène une vie honnête jusqu’au jour où le curé fait obstacle à son élection en tant que marguillier. Il se met alors à détester ouvertement l’Église. Il démolit même la croix qui s’élève à la limite de sa terre. Les habitants font toutefois construire un calvaire en remplacement. Un jour d’été, alors que le travail des fenaisons a été particulièrement prolifique, Jacques Ledur surprend un nuage noir à l’horizon. La colère s’empare de lui. Pourquoi tant travailler si la pluie vient tout détruire ? Il s’en prend à Dieu. L’orage est terrible. Ce jour-là, Jacques Ledur revient des champs la fourche à la main et une blessure mortelle au côté. Les habitants se rendent au calvaire et voient que le Christ a été atteint par une fourche. Le sang coule encore de la déchirure, au côté gauche…

Commentaires

Même si le fait fantastique soutient la structure de ce récit, il n’en demeure pas moins que le véritable sujet en est le personnage de Jacques Ledur. « Le Coup de fourche de Jacques Ledur » est en effet une étude de caractère, fort bien menée par Pamphile LeMay. Il fait ici le portrait d’un homme colérique évoluant dans un contexte social et religieux qui ne pardonne guère la rébellion. Jacques Ledur est un homme impulsif et exigeant, déterminé et ambitieux, dominé par ses passions. Il a trouvé femme à sa mesure et cherche à faire honnêtement sa vie en fondant une famille. Mais son caractère ne le prédispose ni à la résignation ni au repentir. Ainsi, lorsque le curé « impose » comme futur marguillier son favori, la hargne et le ressentiment s’emparent de l’homme. Ledur en vient à nourrir une haine obsessive envers le fait religieux.

Les traits diaboliques de Jacques Ledur vont s’accentuant au fil des jours et des événements. L’emprise qu’il a sur sa famille devient tyrannique. Il fait obstacle à l’éducation religieuse de ses enfants, empêche sa femme de se rendre à l’église. Pamphile LeMay nous guide très bien d’un fait à l’autre. Il voyage aisément à travers les temps du récit pour mieux mettre en relief un trait de caractère de Ledur. Ainsi, le personnage prend peu à peu consistance en même temps que se noue l’intrigue. LeMay connaît bien la nature humaine. Et il est habile conteur : il présente dès le départ la scène de la mort de Jacques Ledur. Comment le paysan a-t-il pu se blesser avec sa propre fourche ? Se serait-il battu ? La tension est par la suite maintenue jusqu’à la chute finale, où tout bascule dans le fantastique.

En effet, ce n’est qu’à la toute fin qu’intervient la puissance divine, et que le mystère se trouve éclairci. Les forces de la nature se déchaînent. Dieu vient provoquer l’impie. Jacques Ledur réagit en blasphémant haut et fort. Et il porte lui-même le coup fatal en « attaquant » le Christ du calvaire avec sa fourche (n’est-ce pas là l’instrument du diable ?). Ce geste sacrilège se retourne contre lui : une plaie s’ouvre miraculeusement sur son propre corps, là même où le Christ a été frappé. Jacques Ledur est donc pleinement responsable de ce qui lui arrive. Il s’est laissé détruire par la colère et la passion ; il a choisi la voie de la rancœur et de la vengeance plutôt que celle du pardon. Il a mérité son châtiment. Les autres le comprennent lorsqu’ils atteignent le calvaire : « Toutes les mains se tendirent vers le Christ outragé et toutes les bouches crièrent : Pardon ! pardon ! pardon ! »

La morale religieuse a inspiré à l’auteur un portrait de mœurs des plus réussis. « Le Coup de fourche de Jacques Ledur » est en effet un texte remarquable. Le vocabulaire est précis et imagé, les phrases coulent d’elles-mêmes. Pamphile LeMay s’y révèle une fois de plus comme un écrivain de grand talent. [RP]

  • Source : Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 119-120.