À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un petit homme couché dans un champ se réveille à l’issue d’un rêve étrange. Il se lève et prend aussitôt la direction de la plus proche agglomération. Il parvient à un village presque désert où la seule animation semble s’être concentrée à l’auberge de la place. L’accueil froid et l’attitude menaçante des clients de l’auberge inquiètent le petit homme. Et pour cause : sitôt le soleil couché, la clientèle et le personnel entreprennent à l’unisson de le trucider. Ils l’ont en effet reconnu comme l’un des simulacres fabriqués par des fourmis.
Commentaires
Dans cette très courte nouvelle – elle ferait à peine trois pages dans un livre standard –, Pierre Turgeon carbure à la SF : il raconte comment une espèce animale, les fourmis, ose contester la suprématie de l’homme sur Terre. Ces demi-portions de bêtes en sont rendues à simuler l’apparence d’un humain, d’abord un, puis un autre, puis d’autres encore, des centaines voire des milliers… Turgeon choisit l’angle initial qui lui offre les meilleures possibilités de chute. Ainsi, les lecteurs entrent dans le récit avec le point de vue du simulacre – on fait le même rêve que lui, on parcourt le même chemin que lui, on compatit avec lui quand il subit la froideur des clients de l’auberge. En fait, jusqu’à vingt lignes de la fin, ni le lecteur ni le petit homme ne savent que ce dernier est une copie d’être humain. Du coup, on se dit : tiens, voilà la chute. Mais non, ça continue encore, comme un épilogue, jusqu’aux deux dernières lignes qui ouvrent grand une porte sur la terreur. Cette transformation de la chute en cascade augmente l’intérêt du texte et lui donne de la profondeur.
Comme un serpent qui se mord la queue, l’histoire se conclut par un retour sur le début, ce long – le quart du texte – épisode onirique dans lequel le petit homme évoque la peur et le dégoût qu’il a dû surmonter pour apporter loin au fond de profonds tunnels et d’épaisses ténèbres sa pitance à une bête terrifiante. Cependant, la longueur disproportionnée de cette séquence vient d’emblée ralentir le rythme. L’auteur éprouve ensuite quelque difficulté à lui redonner un élan. En plus, cette entrée en matière n’apporte rien aux personnages ni à l’intrigue. Peut-être faut-il y voir l’enthousiasme et l’inexpérience d’un jeune écrivain qui se donne le défi d’intégrer à l’histoire qu’il écrit le rêve dont il s’est inspiré ? [RG]
- Source : La Décennie charnière (1960-1969), Alire, p. 212-213.