À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Anita peint des visages qui se distinguent par l’acuité de leur regard. Mais ces yeux l’interpellent, l’accusent d’être responsable de la mort de sa fille et de sa mère. Pour calmer sa culpabilité, elle repeint sa dernière toile en y dessinant des formes hachurées, abstraites, qui évoquent vaguement des petits couteaux. Elle sent peu après contre sa gorge le tranchant d’une lame…
Commentaires
Parmi les treize nouvelles qui composent La Valise rouge, plusieurs abordent le thème de l’art comme voie royale menant à la quête existentielle, à la recherche du sens de la vie. L’art apparaît ainsi comme le moyen le plus adéquat pour se réaliser pleinement.
« Le Couteau sur la gorge » souscrit à cette idée mais cette nouvelle fantastique comporte une mise en garde, contrairement aux autres nouvelles du recueil. En effet, s’il est légitime d’accorder à la pratique artistique une place très importante dans l’existence, elle ne doit pas se faire au détriment des êtres et se substituer à l’amour. Les exigences de l’art ne doivent pas amener à sacrifier certaines valeurs humaines.
Jacques Lazure se pose aussi certaines questions. De quoi se nourrit l’imaginaire de l’artiste ? Où puise-t-il son inspiration ? En plus d’avoir causé indirectement, par un geste d’impatience, la mort de sa fille et de sa mère, Anita s’est approprié leur regard qui fait la qualité de ses peintures. Jusqu’où l’artiste peut-il aller ? Anita a proprement volé leur vie pour s’élever au-dessus de la médiocrité. L’auteur fait voir toute la contradiction qui sous-tend la démarche de l’artiste. Il n’y a pas d’artiste génial qui ne soit pas aussi un monstre d’égoïsme.
On en a lu des nouvelles dans lesquelles l’œuvre d’art devient l’instrument de Némésis en se retournant contre son créateur. L’intérêt de « Le Couteau sur la gorge » réside dans son écriture et dans sa fin ouverte. La nouvelle est écrite presque exclusivement à l’infinitif, ce qui donne des phrases très courtes créant un climat d’oppression et traduisant la respiration haletante de la victime. La conclusion annonçant la période rouge de l’artiste laisse supposer qu’elle devra probablement payer de son sang l’intransigeance de sa démarche.
Par son écriture économe et par le non-dit riche qu’elle recèle, la nouvelle de Jacques Lazure n’est pas sans rappeler la manière de Bertrand Bergeron. [CJ]
- L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 264-265.