À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Louis-Georges Desmeules, Roland Bélanger, Archibald Dorion et Omer Simard, septuagénaires amers et aigris, partagent sans se connaître une même passion frénétique pour les gratteux. Autre point commun : le désir féroce de gagner le gros lot afin de prendre leur revanche sur « une société pressée de les mettre au rancart ». Un jeu de hasard très particulier appelé le « Gratteux russe », lancé en l’an de grâce 2007, pourrait leur en donner l’occasion…
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Depuis son entrée en littérature en 1991, avec le recueil de nouvelles La Ballade des tendus (VLB), Gabrielle Gourdeau cultive la raillerie et le sarcasme avec délectation. Preuve en est encore faite dans « Déboires d’outre-tombe », l’une des quatorze nouvelles qui composent L’Âge dur. Louis-Georges Desmeules, qu’une progéniture ingrate et « gras dur » laisse croupir dans un « hospice aseptisé » pour vieillards aisés, le sans-abri Roland Bélanger, l’homme d’affaires déchu Archibald Dorion et Omer Simard, ancien facteur qui rêve d’ouvrir une boutique de chaussures orthopédiques pour femmes riches, forment un quatuor de ratés peu sympathiques. Ils n’ont de fait rien d’attachant, ces septuagénaires atrabilaires qui fondent dans leurs fameux gratteux tous leurs espoirs de rattraper des années de frustrations.
Nous sommes en 2007, donc, et le gouvernement vient de lancer « le grand jeu du Gratteux russe », une variante de la roulette russe, auquel sont conviés « les losers de toutes sortes ». Les participants, divisés en groupes de quatre, devront se coucher dans un cercueil qu’ils auront préalablement choisi selon leur goût personnel. Pour sortir, il leur suffira de gratter le couvercle. Le risque est minime car un seul des cercueils est « ingrattable ». Et les trois gagnants – ceux qui ont eu l’heur de choisir un cercueil friable – empochent 100 000 $.
Au jeu du cynisme et du hasard, Gabrielle Gourdeau s’en donne à cœur joie. Chez elle, tout est d’abord affaire de style et de vocabulaire, conjugués au cru plutôt qu’au subtil. Il n’est que de lire l’invite au jeu : « Un peu de courage et beaucoup de défaitisme suffisent. […] Donnez-vous des frissons tout en garnissant votre compte en banque : ne retombez plus jamais dans votre merdier social ! » Le reste de la publicité gouvernementale est à l’avenant. Par ailleurs, le lecteur ne s’émouvra guère du triste sort éventuel des personnages, dépeints comme des vieillards sans qualités, geignards et velléitaires…
Dans « Déboires d’outre-tombe », les éléments de science-fiction, ténus – induits essentiellement par le caractère mortel du jeu –, sont clairement utilisés à des fins de critique sociopolitique, critique qui est l’un des grands fers de lance de l’œuvre de Gabrielle Gourdeau. Dans ce futur proche (par rapport à l’année de publication de la nouvelle), il est permis à l’État, représenté ici par le « comité national des loteries » (on aura deviné un équivalent de Loto-Québec), d’afficher son mépris à l’égard des improductifs et de s’en débarrasser comme bon lui semble : un fantasme que nourrissent sans doute nombre de politiciens. Mais lesdits improductifs ne trouvent pas non plus grâce aux yeux d’une auteure qui cultive la misanthropie comme l’un des beaux-arts.
À coups d’outrances et de désinvoltures langagières qui servent néanmoins une véritable réflexion sur le monde tel qu’il va (ou ne va pas, plutôt), Gabrielle Gourdeau nous convie, comme souvent, à une très jouissive expérience de lecture, malheureusement gâchée par une révision linguistique bâclée. [FB]
- L'ASFFQ 1996, Alire, p. 98-99.