Résumé/Sommaire
Dans un monde post-apocalyptique régi par la technique et l’intelligence artificielle, le narrateur, posthumain de son état, a été créé dans un laboratoire afin de servir de modèle génétique à l’espèce humaine, laquelle est destinée à être modelée à son image à partir de ses gamètes. Doté de pouvoirs parapsychiques, immortel de son état, il se pose en divinité vivante, seul être véritablement libre dans une société règlementée où l’absence d’individualité est la norme. Or, bien qu’affirmant sans cesse la supériorité de sa civilisation sur le monde antique, notamment à travers sa technique et l’épanchement de la libido exacerbée de sa collectivité, le narrateur en vient à remettre en question les dogmes de son monde lorsqu’un premier fils créé in vitro à partir de ses cellules vient à naître et que ce dernier l’ignore complètement.
Désabusé, confus, le narrateur cherche le salut auprès d’une femme, dont il tombe amoureux – allant ainsi à l’encontre de ses propres préceptes. Cette dernière a tôt fait de tomber enceinte, et sa grossesse est rapidement perçue comme un acte séditieux par le pouvoir en place, autant que l’amour que le couple éprouve l’un envers l’autre. Leur fils, Primo, qui naît de manière naturelle, devient rapidement l’incarnation d’une forme de résistance, celui-ci remettant constamment en cause la société dans laquelle il vit. Lorsque sa mère tombe à nouveau enceinte, le gouvernement d’ordinatrices, des machines pensantes, force celle-ci à avorter avant de lui laver le cerveau. Le narrateur, incapable de supporter la vue de sa compagne devenue guère plus qu’un automate, tente de se suicider en se jetant du haut d’un immeuble ; mais les machines le reconstituent cette fois sans ses pouvoirs psychiques, perpétuant ainsi son immortalité tout en le dépouillant de son statut divin.
Autres parutions
Commentaires
Ce court roman, primé en Haïti lors du concours littéraire « Vision de l’an 2000 » (non, l’auteure n’est pas d’origine haïtienne), tient souvent davantage de l’exercice de pensée que du roman au sens strict. Les trois quarts de l’œuvre sont ainsi construits selon le même schéma narratif : d’abord le narrateur expose une tare de notre société contemporaine, la décortiquant sous tous ses angles en s’assurant de n’en montrer, finalement, que les facettes les plus négatives, avant de terminer son chapitre en faisant l’apologie, en une phrase ou deux, de la société dont ce même narrateur fait partie.
Si, au départ, la critique sociale du roman demeure pertinente, le procédé devient toutefois rapidement lassant, surtout au regard de la faiblesse de l’argumentaire en ce qui concerne la civilisation du narrateur, laquelle se borne le plus souvent à affirmer que la technique, ou la liberté sexuelle, ou l’emploi de l’intelligence artificielle, est meilleure parce que la société a évolué ainsi. C’est fade, un peu facile, et ça manque cruellement de recherche.
À ce sujet, l’univers diégétique semble étrangement vide : nulle peinture de décors, nulle description, nul détail, nulle description d’une quelconque technologie, comme si l’auteure voulait absolument que son roman puisse traverser les époques sans avoir, à un moment ou un autre, un air suranné. Le problème, c’est que ce minimalisme descriptif, s’il se justifie par l’adoption d’une focalisation interne sous forme de monologue intérieur, en vient rapidement à plomber l’intrigue, puisque le lecteur a forcément du mal à s’identifier aux scènes auxquelles il est confronté.
On sent – et c’est dommage – qu’il s’agit là d’un artifice pour faciliter le world building, et il en résulte un manque de profondeur manifeste. Les technosciences, qui sont d’ordinaire si présentes en science-fiction, sont ici célébrées à travers l’apologie qu’en fait le narrateur tout en demeurant absentes, construisant un paradoxe où l’on a vite fait de comprendre qu’il s’agit en réalité d’un écran de fumée servant à masquer l’incapacité de l’auteure à appréhender/extrapoler lesdites technosciences, en fait foi cette mention – l’une des rares descriptions d’une quelconque technologie au sein du roman – des « aurores boréales accumulées dans une immense chambre forte » (p. 33) qu’on libère dans l’atmosphère les jours de fête.
Risible.
Cela étant dit, malgré les faiblesses de la mise en intrigue, force est d’admettre que le roman demeure particulièrement bien écrit, et il paraît évident que c’est d’abord sur cet aspect que le jury haïtien lui a accordé son prix. Certes, le style en est légèrement hyperbolique, pour ne pas dire un tantinet pompeux ; cependant, la focalisation interne le justifie, au regard du complexe de supériorité inhérent à un narrateur qui se perçoit – et est perçu – comme un dieu vivant. L’auteure maîtrise sa langue, et c’est tant mieux. La lecture demeure agréable, coulant d’elle-même, grâce à une syntaxe claire, sans trop de fioritures et ce, particulièrement dans les segments où le narrateur questionne et critique la société ancienne – c’est-à-dire, la nôtre.
Les tares du capitalisme forcené, les iniquités et les conflits qu’il engendre de par le monde sont dépeints dans le roman de manière forte et donnent lieu aux meilleurs segments de celui-ci. Et c’est justement pourquoi le roman tient davantage de l’exercice de pensée, voire de l’essai sociologique, que de la seule fiction ayant pour objectif le strict divertissement. On sait que la science-fiction a, depuis Wells, un lourd passé de récits ayant des visées ouvertement critiques ; aussi il paraît évident que l’auteure cherche, à travers les réflexions sociologiques de son narrateur, à s’inscrire dans cet héritage, ce qui, au demeurant, est fort louable et ce, même si ces critiques demeurent univoques.
On aurait souhaité que le narrateur en vienne à réellement remettre en question la société dans laquelle il évolue, ce qui n’arrive jamais, même dans le dernier tiers du roman, alors que l’Amour (Amour de l’autre autant qu’Amour paternel) devrait logiquement lui conférer les outils pour jeter un regard neuf sur ce qui l’entoure. Mentionnons, au passage, que ce thème de l’amour salvateur demeure un cliché dans ce type de science-fiction, surtout qu’ici, il ne fait que réitérer l’« importance » du couple hétéronormatif et du noyau familial, ce que certains trouveront peut-être quelque peu agaçant. N’empêche, malgré toutes ces faiblesses, le roman demeure d’une lecture intéressante, ne serait-ce que par la maîtrise de la langue de son auteure, et mérite que l’on s’y attarde. [MRG]