À propos de cette édition
Résumé/Sommaire
Un matin d’hiver, c’est l’émoi dans Silence, la ville des gnomes. Une barque extraordinaire vient de pénétrer dans la baie où se blottit la ville, avec à son bord un humain. Les gnomes, étonnés et terrifiés, envoient un messager pour savoir ce que cette terrible créature désire. Est-ce un ogre, ou quelque tueur sanguinaire ? La réponse est encore plus surprenante. L’humain est un voyageur à la recherche de la Dame dans la montagne. Quel soulagement chez les gnomes : ils auraient dû savoir que les humains étaient d’abord et avant tout des fous !
Le voyageur se nomme Alban. Depuis vingt ans, il est à la recherche de la déesse, une quête vaine qui l’a mené à travers le monde jusqu’à ces montagnes qui se dressent au-delà de la ville des gnomes. La déesse a porté plusieurs noms, Névée, Cristal, Ourania et maintenant Marie-Neige, bannie dans les terres glacées par les autres dieux pour avoir choisi un nom humain. Entre elle et Alban, une communication difficile s’établit. Marie-Neige, qui avait dansé seule pendant une éternité, pour ensuite danser avec les loups, a maintenant le désir de trouver un partenaire nouveau, un partenaire qui est plus à sa hauteur.
Pendant ce temps, à Silence, le jeune gnome Tahou doit s’occuper de son grand-père pendant trois mois. C’est une punition : il faut laver et nourrir l’irascible vieillard, âgé de plus de mille ans, sénile et paralysé. Ici aussi une difficile communication s’établit peu à peu entre le patriarche et son jeune soignant. Ce n’est que lorsque Tahou lui parlera de la Dame dans la montagne que, pendant une miraculeuse minute, le grand-père s’éveillera et parlera dans l’ancienne langue.
Dans la montagne, Alban rencontre enfin Marie-Neige, ou du moins une « sous-unité d’observation » envoyée par la déesse, modelée sous la forme d’une femme de la plus parfaite beauté. La rencontre est riche d’enseignements et de surprises pour la déesse. Aucun des animaux avec lesquels elle avait dansé auparavant ne lui avait apporté autant d’informations. Par l’intermédiaire de sa sous-unité d’observation, Marie-Neige embrasse Alban. Ainsi commence la mort douce de la dernière déesse. Pas plus qu’on ne reverra Alban dans le village des gnomes et on l’aurait vite oublié si sa barque enchantée n’attendait pas au large, appelant en vain son capitaine qui ne reviendra pas.
Commentaires
Avec cette première incursion dans le domaine de la fantasy, Guy Sirois nous offre une riche et mystérieuse allégorie sur la recherche de l’absolu, un texte qu’il faut lire plus d’une fois pour en apprécier tous les aspects, toute la finesse. Le récit oppose en un contraste frappant la quête d’Alban et l’impact que son passage a eu sur une société de gnomes facilement excitables.
Les saynètes qui se déroulent dans la ville gnome de Silence sont les plus mémorables. Comme la plupart de leurs frères nains de la fantasy, le peuple des gnomes est une caricature de l’humanité vulgaire et matérielle. Ils sont peureux, ignorants, paresseux, querelleurs – mais la verve avec laquelle Sirois nous rapporte leurs agissements nous les rend attachants, au point qu’on souhaiterait presque lire un roman entier qui leur serait consacré.
Maintenant, il est difficile d’imaginer plus grand contraste thématique et stylistique entre ces gnomes et l’autre sujet de la nouvelle, le plus important, celui qui donne son sens au texte : la très longue « descente » de la déesse Marie-Neige vers la matérialité, qui l’amène à la vie animale, puis à l’humanité représentée par Alban. Toute cette partie est lyrique, mystique, se déroule avec la nécessaire lenteur d’un rituel, quoiqu’on s’étonnera peut-être d’y trouver un vocabulaire qui surprend en fantasy, comme « sous-unité d’observation », ou encore « organisation de signes ». S’agit-il d’intrusions science-fictionnelles échappées par distraction – on sait que Sirois a jusqu’ici presque exclusivement publié de la science-fiction – ou de l’hypersensibilité d’un lecteur qui charrie ses protocoles de lecture ? Je n’ai pas encore décidé, et ce serait un défaut mineur de toute façon.
« La Demoiselle sous la lune » est une nouvelle qui prend tout son sens dans sa résolution. De la même façon que Marie-Neige doit se départir de l’essentiel de ses attributs divins, Alban doit en contrepartie abandonner tout ce qui le retient au monde. En bout de ligne, c’est la mort qui est le prix à payer pour faire Un avec l’absolument Autre. La mort, sort explicite pour Marie-Neige, et implicite pour Alban qu’on ne reverra jamais à Silence. Mais le lecteur aurait tort de s’attrister. Nous sommes dans l’univers du symbole ; comme au jeu du tarot, la mort est synonyme de transformation, tout aussi nécessaire que la vie. Les gnomes de Silence ne comprendraient rien à tout cela, bien entendu. Prisonniers de leurs œillères matérielles, satisfaits de leur médiocrité, ils resteront persuadés qu’Alban n’était qu’un fou. Sauf le grand-père de Tahou, qui a jadis senti l’appel de la déesse, qui a frôlé l’Absolu mais qui n’a jamais pu expliquer à son peuple ce qu’il avait ressenti.
Un fort beau texte, donc, et qui méritait tout à fait sa place dans ce collectif de fantasy publié aux vénérables éditions Fleuve Noir. [JC]
- Source : L'ASFFQ 1998, Alire, p. 159-160.